Le mot du directeur
Introduction
Je m’appelle Kopila. J’ai 46 ans aujourd’hui. Mon mari et moi avions une petite fille âgée d’une année lorsqu’il a été arrêté en pleine guerre civile au Népal, en raison de son engagement politique. C’était en 2003. Aucune charge n’a été retenue contre lui. Je ne l’ai jamais revu. Un rapport officiel indique qu’il aurait été sorti de sa cellule 3 mois après son arrestation et exécuté. Personne n’a jamais été poursuivi.
Je m’appelle Lucien. J’étais conducteur de bus au Burundi, jusqu’à mon arrestation en mai 2012, lorsqu’un passager m’a accusé de ne pas lui avoir rendu sa monnaie, l’équivalent de 40 centimes chez vous. J’ai été torturé par la police, ai perdu connaissance et ne peut plus exercer mon métier en raison des séquelles dont je souffre encore. Ma plainte est restée lettre morte.
Je m’appelle Ibrahim. Le 25 juillet 1992, je me trouvais en Allemagne. Les forces serbes se sont rendues dans mon village en Bosnie-Herzégovine ce jour-là et ont massacré 17 membres de ma famille élargie, dont ma femme, mes enfants et ma mère. Leurs corps, qui ont été déplacés, n’ont jamais été retrouvés et les auteurs n’ont pas été punis.
Je m’appelle Florence. J’étais infirmière à l’Hôpital de Panzi à Bukavu, où je travaillais avec le Docteur Mukwege, ce fameux gynécologue qui soigne les femmes victimes de viol à l’est de la RDC. En juin 2013 j’ai été enlevée par des hommes armés, droguée, violée et maltraitée à plusieurs reprises. On m’a retrouvé 3 jours plus tard menottée et sans connaissance. Aucune enquête n’a été ouverte, si ce n’est contre moi, pour avoir propagé de fausses rumeurs.
TRIAL International côtoie et soutient depuis plus d’une décennie de nombreuses victimes telles que Kopila, Lucien, Ibrahim ou Florence (tous de noms d’emprunt). Permettez-moi d’être un instant leur porte-voix ce soir pour rappeler que chez eux, l’armée, la police et les puissants tuent, violent, mutilent. S’ils s’adressaient à nous maintenant, ils nous diraient combien obtenir justice et vérité est important pour eux, car c’est souvent est la dernière chose qui leur reste. Ils répèteraient que cette justice n’est pas vengeance, et qu’elle est le fondement sur lequel leurs vies individuelles pourraient se reconstruire. Ils affirmeraient enfin que cette justice est aussi le ciment permettant à leurs sociétés ravagées par la violence de se rebâtir, et que sans elle, la paix et la réconciliation ne sont qu’illusions.
Victor Hugo disait que rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. A TRIAL International, depuis plus d’une décennie, nous sommes portés par une vision : celle d’un monde dans lequel l’impunité pour les crimes les plus graves n’est plus tolérée. Nous vivons au quotidien cette conviction que nous pouvons œuvrer à ce que le temps du droit international arrive. Non pas le droit comme idée abstraite, mais le droit comme outil d’action. Nous ne sommes pas simplement convaincus, nous savons, réellement, que tenir responsables les auteurs de génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, torture et disparitions forcées et la possibilité pour les victimes d’obtenir justice, vérité et réparation contribuent à diminuer et à prévenir de tels crimes.
Pour l’équipe de TRIAL International, le droit international est chose trop importante pour être laissé aux seuls Etats. C’est pourquoi nous faisons œuvre de pionniers, en investissant le champ des tribunaux locaux et des cours internationales pour demander des comptes, obtenir des jugements, conscients qu’une seule affaire bien menée peut faire jurisprudence, avoir un impact retentissant et parfois changer les règles du jeu.
D’une petite association de bénévoles, TRIAL International a pris une ampleur importante. Ces dernières années, l’organisation a en effet pu soutenir des centaines de victimes en Algérie, en Bosnie-Herzégovine, au Burundi, au Népal, en République démocratique du Congo, en Tunisie et ailleurs. L’organisation est aujourd’hui l’une des rares au monde à:
- accompagner les victimes dans le cadre de plaintes pénales contre leurs tortionnaires dans les pays concernés,
- mener des enquêtes sur le terrain, dans des contextes parfois dangereux, et faire ouvrir des procédures pénales et pousser à des procès ici aussi, en Suisse et ailleurs en Europe, où l’on sait que des centaines de bourreaux ont trouvé refuge,
- saisir la justice également contre des acteurs économiques, lorsque ceux-ci se rendent complices de crimes internationaux,
- documenter et déposer par dizaines des dossiers devant de multiples instances internationales ici à Genève devant les instances onusiennes, mais aussi devant la Cour européenne des DH ou la Commission africaine des DH et des peuples;
- rédiger des rapports pointus à l’attention des experts onusiens, dont les recommandations sont parfois si importantes pour les Etats concernés;
- entreprendre un patient travail de lobbying auprès de diplomates et fonctionnaires pour faire modifier lois et pratiques injustes dans ces pays;
- investir enfin une énergie phénoménale dans la formation, le coaching et le soutien à long terme aux acteurs locaux, avocats et militants des droits humains sur le terrain, afin que ceux-ci puissent à leur tour saisir efficacement ce fabuleux outil qu’est le droit, lorsqu’il est manié de façon experte et imaginative.
Je formule le vœu que pour les combats qui restent à mener donne à chacun de nous encore plus soif de justice et que les combats de Kopila, Lucien, Ibrahim ou Florence ainsi que tous les autres puissent aboutir.