RDC : L’ex milicien Chance condamné à perpétuité au Sud Kivu
Un verdict favorable aux victimes a été rendu le 21 septembre 2021, seulement 8 jours après l’ouverture du procès en audience foraine d’un chef de milice et de son complice au sein de l’armée congolaise, tous deux accusés de crimes de masse – dont des crimes environnementaux. Les faits remontent à 2019, lorsque la milice en question a pris le contrôle d’une partie du parc national de Kahuzi Biega (Sud Kivu) pour en exploiter illégalement les ressources naturelles. Elle a maintenu son joug sur les villages environnants au prix d’une extrême violence.
Le parc national de Kahuzi Biega, dans le Sud Kivu, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980 pour sa faune et sa flore uniques. Mais en vue de protéger la zone, les autorités congolaises ont expulsé les communautés pygmées qui vivaient dans l’enceinte du parc.
Profitant du ressentiment de ces communautés autochtones, un ex-membre de l’armée congolaises (FARDC), Chance Muhonya Kolokolo, a formé un groupe armé pour regagner le contrôle d’une partie du parc. Officiellement, M. Muhonya prétendait vouloir défendre le droit des pygmées à vivre sur leurs terres ancestrales. Ses véritables motivations ont vite émergé : une exploitation des ressources protégées de Kahuzi Biega en vue de s’enrichir.
Une exploitation illégale mais hautement organisée
Concrètement, M. Muhonya et ses hommes ont abattu des arbres pour en vendre le bois et le charbon et creusé des mines pour extraire le minerai des sols. Avec l’argent de ces ventes, M. Muhonya achetait des armes pour sa milice. Le second prévenu dans le procès, Benjamin Mazambi Boji, est un officiel de l’armée qui aurait vendu ces armes.
Un système brutal et hautement organisé garantissait à M. Muhonya le contrôle des villages situés autour du parc : redevances prélevées sur le bois et le minerai extraits, travaux communautaires obligatoires et représailles violentes contre les civils pour les intimider et leur extorquer plus d’argent. Notamment, les villageois/es étaient emmené/e/s dans un trou creusé dans le sol et maintenu/e/s captifs/ves jusqu’au payement d’une rançon. Certain/e/s ont été également torturé/e/s et violé/e/s. Des affrontements réguliers avec d’autres factions armées ont encore empiré le sort des civils autour du parc national.
Parmi les exactions, on compte aussi l’enrôlement d’enfants soldats, dont la plupart avaient entre 12 et 15 ans au moment des faits. M. Muhonya les enlevait à leur famille pour les maintenir dans la peur, puis se servait des jeunes pour collecter les « taxes » sur les ressources, et aider à la vie de camp.
Arrestation et début de l’enquête
En mars 2020, les FARDC et les gardes du parc de Kahuzi Biega ont lancé une opération pour reprendre les terres occupées par les miliciens. Le 23 mai 2020, M. Muhonya a été arrêté et transféré à la justice militaire pour être poursuivi.
Le procès qui s’est ouvert quelques mois plus tard ne comportait pas de charges pour crimes internationaux. Les actes de violences étaient considérés comme des crimes de droit commun.
« Les crimes commis étaient nombreux, mais très étalés dans le temps, ce qui explique qu’ils aient été traités dans un premier temps comme des actes individuels » explique Chiara Gabriele, Conseillère juridique de TRIAL International qui a travaillé sur le dossier. « Mais toutes ces atrocités répondaient bien au même mode opératoire et à la même entreprise criminelle. Dans ce sens, nous avons démontré qu’il s’agissait bien de crimes de masse. »
Un complément d’enquête a donc été ouvert pour que l’ensemble des crimes de Chance Muhonya et Benjamin Mazambi Boji soient portés devant la justice. Le procès a été suspendu en attendant le résultat de ces enquêtes, notamment sur l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats.
« Le témoignage d’enfants soldats est très important pour prouver la culpabilité de Chance Muhonya et de ses complices. Mais nous devons éviter à tout prix leur re-traumatisation : vu leur jeune âge, répéter leur histoire devant un tribunal peut être terrible. Avec l’aide d’un psychologue spécialisé en entretien d’enfants victimes d’abus, nous faisons en sorte qu’aucun/e d’entre eux/elles ne souffre une seconde fois » explique Ghislaine Bisimwa, Conseillère juridique de TRIAL basée à Bukavu.
Un verdict attendu
Du 13 au 20 septembre 2021, l’étape cruciale de l’audition des témoins et des victimes s’est déroulée en audience foraine, c’est-à-dire directement sur les lieux des crimes. Deux avocats formés à la poursuite des crimes internationaux ont été mandatés par TRIAL International pour représenter les quelques 90 victimes.
Dans son verdict du 21 septembre, la Cour militaire du Sud Kivu a condamné Chance Muhonya à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité par meurtre, viol et autres actes inhumains et pour crimes de guerre par recrutement et utilisation d’enfant soldats.
Il a aussi été condamné pour violation et destruction d’aires protégées, sur la base des activités illégales de déforestation et d’exploitation de minerais qu’opéraient son groupe. « Cette décision constitue un précédent très important, notamment dans la mesure où la cour a reconnu la gravité des crimes environnementaux commis dans le parc national en lien avec les activités économiques illicites menées par le groupe armé » a réagi Guy Mushiata, Coordinateur du programme de TRIAL International basé à Bukavu.
Toutes les victimes ont obtenu des réparations allant de 3’000 à 10’000 USD. L’État congolais a quant à lui été reconnu comme civilement responsable. Son complice, le Major de l’armée congolaise Benjamin Mazambi Boji, soupçonné d’avoir facilité le transfert d’armes au groupe de Chance, a quant à lui été acquitté faute de preuves suffisantes.
Le procès d’appel s’est tenu en audience foraine à Bukavu en septembre 2022. Le 23 septembre la Haute Cour militaire a prononcé son verdict qui a confirmé la condamnation de Chance Muhonya à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité. Les crimes d’enrôlement d’enfants soldats ainsi que les crimes contre l’environnement ont également été maintenus.