Affaire Rifaat Al-Assad
Rifaat Al-Assad est militaire de carrière et homme politique syrien. Il est le frère cadet de l’ancien président de la Syrie, Hafez Al-Assad, dont il a largement contribué à la prise de pouvoir en 1970. Il est l’oncle de l’actuel président Bachar Al-Assad.
Très proche du pouvoir dans les années 1980, il a été membre du commandement régional du parti Baath et a commandé les « Brigades de Défense », les troupes d’élites de défense du régime syrien, de 1971 à 1984.
Perçu par beaucoup comme successeur probable de son frère aîné, il a par la suite été soupçonné d’une tentative de coup d’Etat contre ce dernier et contraint à l’exil en 1984. Il a depuis vécu dans plusieurs pays d’Europe où il a investi une large fortune personnelle.
En juin 2016, il a été mis en examen en France pour recel de détournement de fonds publics, blanchiment et travail dissimulé pour des salaires d’employés non déclarés. Des biens lui appartenant, à hauteur de millions d’euros, ont été saisis en France, en Espagne et au Royaume-Uni.
Le 9 septembre 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de Rifaat al-Assad à quatre ans d’emprisonnement pour s’être frauduleusement constitué en France un patrimoine évalué à 90 millions d’euros.
En octobre 2021, Rifaat al-Assad a fui l’Europe pour retourner en Syrie malgré les procédures en cours à son encontre et la surveillance judiciaire dont il faisait l’objet en France. L’enquête devant le MPC se poursuit malgré tout.
Les faits
Les « Brigades de défense » de Rifaat Al-Assad auraient participé à deux carnages restés dans l’histoire.
D’une part, le massacre de la prison de Tadmor (ou Palmyre), qui aurait été perpétré par les Brigades de Défense, vraisemblablement en représailles à une tentative d’assassinat du Président Hafez Al-Assad.
Le 27 juin 1980, les Brigades de Défense dirigées par Rifaat Al-Assad ont attaqué la prison de Tadmor, à quelques 200 kilomètres au nord-est de la capitale. Dès leur arrivée, elles ont fait irruption dans les cellules de la prison et y ont tué pratiquement tous les prisonniers. Environ 1’000 personnes suspectées d’être membres de l’opposition auraient été sauvagement assassinées.
D’autre part, le martyre de la ville de Hama en février 1982. Suite à la prise de contrôle de Hama par le groupe armé de l’Avant-garde combattante des Frères musulmans, le gouvernement de Hafez Al-Assad a mobilisé plusieurs milliers d’hommes, dont les Brigades de Défense.
Les forces gouvernementales ont encerclé et bombardé la ville. L’Avant-Garde combattante, ainsi que de nombreux individus ayant pris spontanément les armes, ont tenté de résister. Rapidement, la population civile a été prise au piège au sein de sa propre ville, coupée d’approvisionnement, de nourriture et d’électricité pendant près de 4 semaines.
Selon les sources, 10’000 à 40’000 personnes (majoritairement des civils) auraient perdu la vie, et une partie de la ville aurait été détruite, dont un quartier de la vieille ville qui aurait été pratiquement entièrement rasé.
A Tadmor comme à Hama, les témoignages et sources historiques concordent sur l’implication dans ces crimes des Brigades de Défense. Plusieurs sources impliquent directement Rifaat Al-Assad dans la planification et l’exécution des massacres.
Procédure
En novembre 2013, TRIAL International a été alertée de la présence en Suisse de Rifaat Al-Assad. L’organisation a mené des recherches et, face aux graves soupçons qu’elle a révélé, a déposé devant le Ministère public de la Confédération (MPC) une première dénonciation pénale concernant le massacre de Hama. Le MPC a ouvert une enquête pénale en décembre 2013 pour crimes de guerre. En août 2014, une partie plaignante s’est jointe à la procédure.
En septembre 2015, le prévenu étant à nouveau à Genève, TRIAL International et l’avocat de la partie plaignante ont sollicité des autorités qu’elles appréhendent le prévenu. Face à leur refus, la partie plaignante a déposé une demande de mesures provisionnelles auprès du Tribunal pénal fédéral, qui deux jours après a ordonné aux MPC d’entendre le prévenu.
En 2016 et 2017, TRIAL International a déposé plusieurs compléments de dénonciation, notamment pour les crimes commis cette fois à la prison de Tadmor. Elle joint à cette dénonciation une centaine de preuves documentaires et une liste de témoins prêts à être entendus.
Au cours de la procédure, six autres victimes se sont jointes à l’affaire. Certaines ont été directement témoin des atrocités. Étant donné l’impunité totale qui règne en Syrie, les enquêtes en Suisse pourraient constituer leur seule chance d’obtenir justice.
En juin 2020, Rifaat al-Assad a été condamné en France pour blanchiment d’argent et recel de fonds publics en Syrie. Il a reçu une peine de quatre ans de prison et les autorités françaises ont confisqué plusieurs de ses propriétés qui valaient des millions. M. al-Assad a fait appel de la décision. Le jugement devrait être prononcé en 2021.
Contexte
De 1979 à 1982, le régime du clan Al-Assad a affronté l’Avant-garde combattante des Frères musulmans.
Fondée à la fin de la seconde guerre mondiale, la branche syrienne des Frères musulmans, émanation de la confrérie mère d’Egypte, est devenue la première force d’opposition à Hafez al-Assad après son accession au pouvoir.
Le régime, sous l’impulsion notamment de Rifaat Al-Assad, a mis en place une politique de répression qui s’est transformée en conflit ouvert avec les Frères musulmans. A la fin des années 1970, les affrontements entre le régime et la branche armée des Frères musulmans ont conduit à un conflit armé qui a culminé avec la destruction de la ville de Hama, en 1982.
Les exactions commises à Hama et Tadmor sont directement liées au conflit armé non international en cours dans le pays. Les actes qui y ont été commis doivent par conséquent être qualifiés de crimes de guerre:
- meurtres
- punitions collectives
- bombardement de civils
- exécutions collectives
- actes de torture
- viols
- pillage
- destructions de lieux de cultes et d’hôpitaux