Exportations de biens à double usage vers la Syrie : l’Allemagne et la Belgique doivent enquêter

03.06.2019 ( Modifié le : 10.07.2019 )
(Genève, Berlin, New York, le 3 juin 2019)

Trois ONG actives sur les questions de responsabilité pour les crimes atroces commis en Syrie – Syrian Archive, TRIAL International et Open Society Justice Initiative – ont déposé des plaintes pénales auprès des procureurs d’Anvers, Hambourg et Essen. Ils demandent aux autorités de poursuite de clarifier le rôle de trois entreprises européennes dans l’expédition vers la Syrie, en 2014, de composants chimiques pouvant servir aussi bien à la fabrication de produits pharmaceutiques que d’armes chimiques. Il y a deux mois, les mêmes organisations avaient informé les autorités douanières belges et allemandes, qui avaient répondu ne pas être au courant de ces exportations. Elles ont donc décidé de porter l’affaire au niveau supérieur.

 

Les plaintes sont basées sur des documents d’exportation et une enquête menée par les trois ONG, indiquant que les trois sociétés – BASF Antwerpen NV, Sasol Germany GmbH et Brenntag AG (ainsi que sa filiale suisse) – pourraient avoir participé à l’expédition en 2014 d’isopropanol et de diéthylamine vers la Syrie, en transitant par la Suisse.

« Il est temps que ces transactions fassent l’objet d’une enquête approfondie », déclare Montse Ferrer, coordinatrice de la responsabilité des entreprises auprès de TRIAL International. « Il y a suffisamment de preuves pour qu’une enquête puisse être ouverte. Nous espérons que les procureurs pourront clarifier comment des composants à double usage fabriqués par des entreprises européennes se sont retrouvés en Syrie. »

Ces deux produits sont utilisés dans la production de produits pharmaceutiques. Mais l’isopropanol peut également être utilisé dans la production de gaz sarin, un agent chimique mortel qui a été utilisé par le gouvernement syrien contre les civils. La diéthylamine est également utilisée dans la production de VX, un agent neurotoxique très puissant que l’on trouve dans les stocks d’armes chimiques de la Syrie.

À l’époque, les deux produits chimiques figuraient sur une liste de matières à double usage faisant l’objet de restrictions à l’exportation, en vertu de sanctions de l’Union européenne (UE). Une autorisation préalable était requise pour leur exportation directe ou indirecte vers la Syrie. Le régime de sanctions de l’UE s’applique également aux actions de ses citoyens, même en dehors du territoire de l’Union. Les trois ONG demandent donc aux procureurs de déterminer si les sociétés européennes ont contourné ces sanctions.

 

AU NEZ ET À LA BARBE DES AUTORITÉS DOUANIÈRES

Selon les plaintes, l’agence belge compétente en matière d’exportation a déclaré n’avoir reçu aucune demande d’autorisation pour l’exportation de diéthylamine de Belgique vers la Syrie comme destination finale. L’agence allemande de contrôle des exportations a déclaré pour sa part ne pas avoir autorisé de tels envois pendant la période en question.

En avril 2018, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a déclaré que l’expédition d’isopropanol en provenance de Suisse était légale au regard du droit suisse. Le SECO a ajouté que le client était « une société pharmaceutique privée syrienne » et qu’il n’y avait « aucune indication qu’il avait des liens avec le gouvernement syrien à l’époque, ni aujourd’hui ».

 

DES LIENS ÉTROITS AVEC LE GOUVERNEMENT SYRIEN

Par la suite, trois journaux suisses, Le Matin Dimanche, la Sonntagszeitung et la Tribune de Genève, ont révélé des détails supplémentaires sur ces ventes, notamment le nom de l’entreprise syrienne qui a acheté la cargaison, Mediterranean Pharmaceutical Industries (MPI), étroitement liée au gouvernement syrien.

MPI a obtenu une licence pour fabriquer du gel Voltaren, un anti-inflammatoire en vente libre qui utilise les deux produits chimiques, par une filiale de Novartis, la société pharmaceutique suisse. Toutes les compagnies affirment que leurs actions étaient conformes à la réglementation en vigueur en matière de sanctions. Novartis, en particulier, affirme que la diligence raisonnable qu’elle a exercée sur MPI « n’a révélé aucun signe avant-coureur ».

Pourtant, l’enquête menée par les trois ONG montre qu’en 2014, MPI était dirigée par Abdul Rahman Attar, aujourd’hui décédé, qui était un homme d’affaires de premier plan, étroitement lié à de hautes personnalités du gouvernement syrien. Au moment de l’exportation, M. Attar était soupçonné d’avoir tenté de contourner les sanctions américaines. « Attar avait d’étroites relations d’affaires avec Cham Holdings, une société qui a été sanctionnée en Suisse et dans l’UE depuis 2012, et aux Etats-Unis et au Canada depuis 2011 », a déclaré Hadi al Khatib, directeur de Syrian Archive.

 

DES PRODUITS INTERDITS MAIS TRÈS RÉPANDUS

L’ONU a ouvert une enquête sur l’utilisation possible d’armes chimiques en Syrie en avril 2013, après la publication des premiers rapports mentionnant l’utilisation d’armes chimiques en décembre 2012.

L’exportation de 5 000 kg d’isopropanol a eu lieu après que l’Organisation pour l’interdiction des Armes Chimiques eut annoncé en mai 2014 que la Syrie avait détruit son stock de 120 tonnes d’isopropanol.

En avril 2017, près de 100 personnes ont été tuées et plus de 200 blessées lors d’une attaque au gaz sarin, produit avec de l’isopropanol, à Khan Shaykun.

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