Violations multiples des droits de M. Abdeladim Ali Mussa Benali
L’affaire
En mai 2008, TRIAL et l’organisation Al-Karama pour les droits de l’homme ont soumis une plainte conjointe auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, pour le compte de Mussa Ali Mussa Benali, qui agit au nom de son frère, Abdeladim Ali Mussa Benali.
Abdeladim Ali Mussa Benali à été arrêté une première fois le 9 août 1995 par des membres de l’Agence de Sécurité Intérieure libyenne (ASI) et gardé en détention jusqu’au 15 octobre 2002. Pendant les cinq premières années en prison, il a même été privé de tout contact avec le monde extérieur et sa famille n’a jamais été informée de sa situation.
Le 16 février 2005, M. Benali a été arrêté pour la deuxième fois par des membres de l’ASI. Ses proches n’ont pas reçu de nouvelles de sa part jusqu’au début 2006, lorsqu’ils ont enfin été informés qu’il se trouvait à la prison d’Abu Slim (un centre pénitentiaire proche de Tripoli bien connu où des milliers de prisonniers politiques ont été détenus). Les proches de M. Benali ont été autorisés à lui rendre visite une fois par mois jusqu’en automne 2006, période où toutes les visites ont été suspendues en guise de punition collective suite à une émeute qui avait eu lieu dans la prison au début du mois d’octobre 2006. Pendant ces troubles, qui ont été réprimés dans le sang, M. Benali a joué un rôle clé pour éviter une escalade de la violence : il s’est servi d’un téléphone portable qu’il avait caché aux gardes afin de mettre au courant de l’incident des sources de l’extérieur.
M. Benali a disparu de la prison d’Abu Slim le 23 mars 2007, et tout mène à craindre qu’il ait été enlevé par les autorités en représailles pour ces agissements.
Aussi bien pendant la première que durant la deuxième détention, M. Benali a été soumis à plusieurs reprises à différentes sortes de tortures, notamment des coups brutaux, a subi l’isolement prolongé (jusqu’à deux ans) dans un cachot souterrain insalubre et a été privé de nourriture suffisante.
M. Benali n’a jamais été inculpé pour un quelconque délit. En réalité, au cours des près de dix années passées en détention, il n’a à aucun moment été présenté à une autorité judiciaire.
Tous les recours, judiciaires et autres, prévus par la législation libyenne sont de facto inaccessibles pour les victimes de crimes perpétrés pour des motifs politiques, en raison du haut risque, voire de la certitude, de représailles sévères contre ceux qui porteraient des accusations à l’encontre de l’Etat et également de la grande difficulté (du fait de la terreur généralisée qui règne en Libye) que ces personnes rencontreraient pour obtenir l’assistance d’un avocat. Par ailleurs, de telles actions légales n’auraient aucune chance d’aboutir, vu le manque d’indépendance des tribunaux nationaux.
L’auteur de la communication demande au Comité de reconnaître que, sur la base des faits décrits ci-dessus, la Libye a violé:
- les droits d’Abdeladim Ali Mussa Benali à la vie, à un recours utile, à la liberté et à la sécurité de la personne, à recevoir en détention un traitement respectueux de la dignité humaine, à ne pas être soumis à des actes de torture ou à des mauvais traitements et à être reconnu en tant que personne juridique dans toutes les circonstances (articles 2 § 3, 6 § 1, 7, 9 §§ 1, 2, 3 et 4, 10 § 1 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques),
- le droit de l’auteur de la communication à un recours effectif et à ne pas subir des tortures ou des mauvais traitements (articles 2 § 3 et 7 du Pacte).
Le contexte général
Ces faits s’insèrent dans le contexte de la répression acharnée exercée par le régime du Colonel Kadhafi, qui gouverne le pays d’une main de fer depuis bientôt 40 ans. Les forces de sécurité – l’ASI en premier chef – ont notoirement commis les pires exactions, à grande échelle et en toute impunité. Les opposants du gouvernement, réels ou perçus comme tels, sont les principales cibles de ces pratiques.
Des milliers de citoyens ont été victimes d’arrestations, effectuées en parfaite illégalité, suivis de détentions extrêmement longues, sans supervision judiciaire et souvent sans possibilité de contact avec l’extérieur et sans que la famille soit informée.
La décision
Au mois de décembre 2012, le Comité des droits de l’homme a communiqué sa décision (appelée « constatations » dans le jargon onusien).
Le Comité a retenu que la Libye avait violé les articles 6 § 1, 7, 9, 10 § 1 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qui concerne Abdeladim Ali Mussa Benali. Le Comité a aussi trouvé une violation de l’article 2 § 3 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6 § 1, 7, 9, 10 § 1 et 16.
Le Comité constate par ailleurs une violation de l’article 7 du Pacte, individuellement et conjointement avec l’article 2 § 3, en ce qui concerne l’auteur de la communication.
Le Comité a enjoint la Libye de fournir à l’auteur de la communication un recours effectif, notamment de libérer Abdeladim Ali Mussa Benali immédiatement s’il est encore détenu; de remettre sa dépouilles à sa famille si celui-ci est décédé en détention, de mener une enquête approfondie et diligente sur sa disparition et sur tout mauvais traitement subi en détention; de fournir à l’auteur et à Abdeladim Ali Mussa Benali des informations détaillées sur les résultats de l’enquête; d’engager des poursuites pénales contre les responsables de la disparition forcée et des autres mauvais traitements, les juger et les condamner.
Les autorités libyennes doivent aussi assurer à l’auteur et à Abdeladim Ali Mussa Benali une réparation appropriée pour les violations qu’ils ont subies et veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.