Graves et multiples violations des droits d’Ismail Al Khazmi
L’affaire
En novembre 2008, une communication individuelle conjointe de TRIAL et de l’organisation Al-Karama pour les droits de l’homme a été introduite devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies pour le compte d’Ibrahim Aboubakr Al Khazmi, agissant au nom de son fils, Ismail Al Khazmi.
Le 17 juin 2006, Ismail Al Khazmi a été arbitrairement arrêté par des membres de l’Agence de Sécurité Intérieure libyenne sur son lieu de travail. Il a ensuite été emmené vers une destination inconnue. Son frère s’est fait arrêter la nuit suivante au domicile familial.
Malgré de nombreuses demandes de sa famille, les autorités (qui ont reconnu détenir son jeune frère Mubarek) ont refusé de reconnaître la détention d’Ismail et de fournir des informations à son sujet.
Des témoins ont vu Ismail à la prison d’Asseka, à Tripoli, où il était détenu sans avoir été présenté à un tribunal et donc sans pouvoir contester sa détention. Il était également privé de tout contact avec sa famille ou un avocat.
D’anciens co-détenus ont rapporté qu’il était régulièrement torturé. Le 29 juin 2006, après avoir été torturé pendant plusieurs jours, Ismail Al Khazmi a été à nouveau gravement battu dans sa cellule et suspendu au plafond. Il a ensuite été emmené vers une destination inconnue, inconscient mais toujours vivant.
Ibrahim Aboubakr Al Khazmi a été informé de la mort de son fils le 1er mai 2007. Il n’a pu obtenir aucune information sur la date et les circonstances de cet événement, et ses demandes d’autopsie ont été refusées par les autorités. Il a alors contacté un avocat qui a entamé une procédure contre les personnes responsables de la mort d’Ismail, mais le fonctionnaire en charge au Ministère de l’Intérieur a bloqué l’enquête. Le père de la victime s’est ensuite adressé au Secrétaire du Comité général du peuple pour la justice, qu’il a essayé de rencontrer en personne, mais en vain.
Etant donné le niveau élevé d’interférence politique dans le système judiciaire libyen, et le fait que l’exécutif a clairement montré son hostilité à l’ouverture d’une enquête dans cette affaire en particulier, il apparaît impossible d’obtenir en Libye la réparation des graves violations subies par Ismail Al Khazmi. De surcroît, en Libye, les craintes justifiées des détenus politiques et de leurs familles d’être victimes de représailles rendent tous les recours internes de facto indisponibles dans de telles affaires.
Le père de la victime demande au Comité de reconnaître que la Libye a violé, de par les faits décrits :
- sur la personne d’Ismail Al Khazmi: le droit à la vie; à ne pas subir de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants; à la liberté et à la sécurité de la personne; celui de recevoir en détention un traitement respectueux de la dignité humaine; à être reconnu en tant que sujet de droit; et le droit à un recours effectif (articles 6(1), 7, 9, 10(1), 16, and 2(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques),
- à son propre égard, les droits à un recours effectif et à ne pas subir de tortures ou de mauvais traitements (articles 2(3) et 7).
Le contexte général
Ces événements s’inscrivent dans le contexte de la répression implacable que subissent tous ceux qui osent élever des critiques contre le régime du colonel Khadafi, qui dirige le pays d’une main de fer depuis près de 40 ans. Il est de notoriété publique que les forces de sécurité – en premier chef l’Agence de Sécurité Intérieure – ont commis massivement et en toute impunité les pires exactions. Les opposants sont les principales cibles de ces pratiques.
Les détentions incommunicado pendant de longues périodes sont un instrument commun de répression contre les dissidents en Libye. La pratique de la torture est également récurrente et mène fréquemment à la mort de détenus.
La décision
En juillet 2013, le Comité des droits de l’homme a adopté sa décision sur l’affaire Al Khazmi.
Le Comité a déclaré la Libye responsable pour la violation des plusieurs dispositions duPacte international relatif aux droits civiles et politiques. Notamment, le Comité a affirmé que l’État est responsable pour la disparition, détention arbitraire et torture létale infligées à Ismail Al Khazmi et pour n’avoir pas menée une enquête efficace sur ces violations, et aussi pour n’avoir pas jugée et puni les responsables, favorisant ainsi l’impunité.
Le Comité a demande à la Libye de:
– mener sans délai une enquête approfondie et impartiale sur la disparition et la mort d’Ismail Al Khazmi, et fournir à la famille des informations détaillées sur les résultats de l’enquête;
– remettre la dépouille d’Ismail Al Khazmi à son frère;
– poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et
– assurer aux plaignantes une indemnisation à la mesure de la gravité des violations commises.
La Libye dispose de 180 jours pour informer le Comité des mesures prises pour donner effet à la décision.