Les Nations Unies reconnaissent la responsabilité du Népal dans la torture et l’exécution sommaire d’un mineur en 2004
Les Nations Unies reconnaissent la responsabilité du Népal dans la torture et l’exécution sommaire d’un mineur en 2004
Le gouvernement népalais prendra-t-il ses responsabilités par rapport à la mort d’Anil, 15 ans, et implémentera-t-il la décision onusienne ? Rien n’est moins sûr.
Genève/Katmandou, le 24 mai 2022 – 18 ans après les faits, la famille d’Anil Chaudhary, assassiné en 2004, à l’âge de 15 ans, peut enfin amorcer sa reconstruction et regarder plus sereinement vers l’avenir. Le Comité des Droits de l’Homme (CDH) a rendu sa décision le 20 mai dernier, après la plainte déposée par TRIAL International et son partenaire népalais, le Human Rights and Justice Centre, représentant les parents du jeune garçon. Le Népal a été reconnu responsable de l’arrestation arbitraire, des tortures et de l’exécution extrajudiciaire d’Anil, qui était visé parce qu’il appartenait à la communauté indigène Tharu. Le CDH a demandé fermement au gouvernement népalais d’enquêter sur les circonstances de la mort d’Anil, d’identifier, de juger et de punir les auteurs, de présenter des excuses officielles aux parents d’Anil et de construire un mémorial au nom d’Anil afin de restaurer sa dignité et sa réputation ainsi que celles de sa famille. Le Népal devrait également « reconnaître publiquement la responsabilité de l’État, modifier la législation nationale, notamment en ce qui concerne les délais de prescription applicables à la torture, offrir un soutien psychologique et médical à la famille et, enfin, réparer les dommages subis », a déclaré l’organe des Nations unies.
Pourtant, cette décision ne signifie pas que le Népal mettra effectivement en œuvre les recommandations du CDH, puisque, jusqu’à présent, des décisions similaires sont restées largement sans effet. L’impunité règne toujours dans le pays et les victimes peinent à obtenir vérité, justice et réparations.
Une route particulièrement longue vers la justice
Anil Chaudhary, issu de la minorité ethnique des Tharus, était âgé de quinze ans lorsqu’il a été tué, en 2004, par un groupe d’agents de sécurité népalais alors qu’il faisait du vélo avec son voisin, non loin de chez lui, dans le village de Fattepur. Les deux jeunes garçons ont été faussement accusés d’appartenir à la guérilla maoïste, ont été interrogés, battus et torturés avant d’être froidement exécutés. Dès lors, les parents d’Anil ont tenté d’obtenir justice en déposant des plaintes auprès de différentes autorités népalaises, sans succès.
Avec l’aide de TRIAL International et du Human Rights and Justice Centre, basé à Katmandou, les parents d’Anil se sont adressés au CDH le 28 mars 2018. Il a été allégué que le jeune garçon était la victime d’arrestation arbitraire, de tortures et d’exécution extrajudiciaire commises par des agents de sécurité népalais. Ces actes auraient été commis pour un motif discriminatoire fondé sur son appartenance ethnique et ont été aggravés par le fait qu’il était mineur. TRIAL International et son partenaire ont ainsi demandé au CDH d’établir que le Népal a violé les droits d’Anil Chaudhary et de lui ordonner, entre autres, d’enquêter sur sa mort, de tenir les auteurs pour responsables de leurs actes, et d’accorder aux parents d’Anil une compensation pécuniaire adéquate, à la hauteur du préjudice subi.
Une décision très attendue et synonyme de reconnaissance internationale, mais dont l’application par le Népal reste incertaine
La décision prononcée par le CDH répond à la quête de justice des parents d’Anil qui a duré 18 ans. Nira Tharuni, la mère d’Anil confie : » Je suis heureuse que les Nations Unies aient pris une décision sur le cas d’Anil. Il est impératif que le gouvernement mette en œuvre cette décision et punisse les coupables. Les souffrances qu’a enduré Anil me perturbent et les coupables me reviennent à l’esprit encore aujourd’hui. Je ne les oublierai jamais, je ne peux pas les oublier. Je veux les voir punis. »
Cependant, le risque subsiste que le gouvernement népalais fasse, une fois encore, la sourde oreille aux recommandations ainsi qu’à la décision du CDH, et que la famille d’Anil n’obtienne jamais ni justice ni réparations.
Salina Kafle, directrice du Human Rights and Justice Centre, explique : « La décision du Comité met en lumière non seulement que la torture et les exécutions extrajudiciaires de mineurs autochtones étaient endémiques pendant le conflit au Népal, mais dénonce également l’insuffisance et l’inefficacité des mécanismes juridiques nationaux pour faire face à ces exécutions. Entre autres, la décision appelle également l’État à prévenir la survenue de violations similaires à l’avenir, notamment en modifiant la législation nationale et les délais de prescription conformément aux normes internationales. Si les recommandations du CDH sont bien prises en compte par le Népal, les victimes se sentiront plus proches de la justice. »
Si toutes les mesures indiquées par le CDH doivent être mises en œuvre, il est clair que l’application de certaines d’entre elles prendra du temps. Cependant, certaines mesures peuvent et doivent être mises en œuvre sans délai. Il est par exemple crucial que le Népal identifie rapidement une autorité chargée du processus de mise en œuvre de la décision du Comité et maintienne le contact avec les parents d’Anil et leurs représentants afin d’établir un calendrier acceptable.
Contexte particulier de l’affaire
Au Népal, la route est encore longue pour que justice soit rendue aux victimes de la guerre civile qui a meurtri le pays de 1996 à 2006. Le conflit a laissé derrière lui environ 13’000 mort/e/s et de nombreuses victimes et/ou survivant/e/s d’autres crimes, tels que la torture, les disparitions forcées, les violences sexuelles, commises aussi bien par les forces gouvernementales que par la guérilla maoïste.
L’affaire d’Anil Chaudhary s’inscrit dans ce contexte. Pendant la guerre, les arrestations arbitraires, les tortures et les exécutions sommaires ont été pratiquées de façon systématique. Les faits relatifs à l’affaire se sont déroulés dans le district de Bardiya, particulièrement touché par le conflit. Les Tharu, y compris les femmes et les enfants, étaient souvent associés à la guérilla maoïste et pris pour cible par les forces de sécurité.
Un sentiment d’impunité qui étouffe tout espoir de justice dans un pays meurtri
La création en 2015 d’une Commission d’enquête sur les disparitions forcées de personnes (CIEDP) et d’une Commission Vérité et Réconciliation (TRC) représentait un espoir pour les victimes népalaises d’être entendues et qu’un véritable processus de justice transitionnelle voit le jour au Népal. Malheureusement, sept ans après, le bilan est déplorable et aucun résultat tangible n’a été atteint. En outre, le processus de justice transitionnelle dans son ensemble, y compris la législation sous-jacente, est en contradiction avec les normes internationales, comme l’a également affirmé la Cour suprême népalaise dans une décision rendue en 2015. Cette décision n’a pas non plus été mise en œuvre.
Contact médias
TRIAL International, Genève, Suisse
Olivia Gerig, responsable de communication et des relations avec les médias
o.gerig@trialinternational.com
+41 22 519 03 96
Human Rights and Justice Centre, Népal
Salina Kafle
Directrice (Katmandou)
s.kafle@hrjc.org.np
+977 984 175 25 27