Gambie: Le massacre de migrants en 2005 toujours inexpliqué
Les familles de plus de 50 migrants d’Afrique de l’Ouest tués en Gambie et au Sénégal il y a 15 ans n’ont pas encore appris toute la vérité ni obtenu justice, ont déclaré aujourd’hui 11 organisations de défense des droits humains. Alors qu’il est de plus en plus évident que les meurtres ont été perpétrés par des membres des forces de sécurité gambiennes agissant sur ordre du président Yahya Jammeh, les groupes ont appelé à une enquête internationale sur le massacre.
« Une enquête internationale crédible est nécessaire si nous voulons faire toute la lumière sur le massacre des migrants ouest-africains de 2005 et créer les conditions pour traduire les responsables en justice », a déclaré Emeline Escafit, Conseillère juridique de TRIAL International. « Jusqu’à présent, l’information est sortie au compte-gouttes, année après année et par l’intermédiaire de différentes sources. »
Le 22 juillet 2005, les forces de sécurité gambiennes ont arrêté les migrants –qui ont accosté en Gambie sur leur chemin vers l’Europe–, les soupçonnant d’être impliqués dans une tentative de coup d’État. Au cours des dix jours suivants, presque tous les migrants, dont environ 44 Ghanéens, 9 Nigérians, 2 Togolais et des ressortissants de Côte d’Ivoire et du Sénégal ont été tués en Gambie ou emmenés au Sénégal et abattus, leurs corps jetés dans des puits abandonnés.
Malgré les aveux de plusieurs soldats gambiens concernant leur implication dans les meurtres ordonnés par Yahya Jammeh, les circonstances qui ont conduit à ces assassinats ne sont pas claires. On ne sait toujours pas où exactement les migrants ont été enterrés au Sénégal, et on ne connaît pas non plus l’identité de toutes les victimes, dont huit des neuf Nigérians. La Gambie a renvoyé six corps au Ghana en 2009, mais les familles ont exprimé des doutes quant à leurs identités.
Enquêtes avortées
Les efforts déployés par le passé pour enquêter sur le massacre ont été à plusieurs reprises entravés ou faussés. Après une première campagne menée par Martin Kyere, les familles et les groupes de défense des droits humains, le Ghana a tenté d’enquêter sur les massacres en 2005 et 2006. Mais le gouvernement de Yahya Jammeh a refusé l’entrée sur son territoire aux enquêteurs ghanéens. En 2009, un rapport des Nations Unies et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a conclu que le gouvernement gambien n’était pas « directement ou indirectement complice » des décès et des disparitions, en l’imputant à des éléments « incontôlés » des services de sécurité gambiens « agissant de leur propre chef ». Puis, en 2018, Human Rights Watch et TRIAL International ont découvert que les migrants avaient été détenus par les plus proches associés de Jammeh dans l’armée, la marine et la police, puis exécutés sommairement par les « Junglers », une unité de soldats gambiens opérant sous les ordres de Jammeh. Enfin, en juillet 2019, trois anciens « Junglers » ont témoigné publiquement devant la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) qu’ils avaient, avec douze autres « Junglers », perpétré les meurtres sur ordre de Jammeh.
Comme les crimes ont eu lieu dans deux pays –la Gambie et le Sénégal–, qu’ils impliquent des victimes de six pays et qu’un suspect principal – Yahya Jammeh– réside actuellement en Guinée équatoriale, une enquête internationale serait la meilleure solution pour découvrir tous les faits. Puisque ni la Gambie, ni d’autres pays comme le Ghana ne veulent mener une enquête transnationale, les groupes devraient soutenir une enquête indépendante qui pourrait enquêter dans tous les pays concernés.
A l’origine de cet appel, se trouvent les organisations suivantes: Africa Center for International Law and Accountability (ACILA) , African Network against Extrajudicial Killings and Enforced Disappearances (ANEKED), Amnesty International Ghana, Commonwealth Human Rights Initiative, Gambia Center for Victims of Human Rights Violations, Ghana Centre for Democratic Development, Human Rights Advocacy Centre, Human Rights Watch, Media Foundation for West Africa, POS Foundation, et TRIAL International.
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Cet article a été produit avec le soutien financier de l’Union européenne. Son contenu est la seule responsabilité des auteurs et ne reflète pas nécessairement les positions de l’Union européenne.