« On vit dans l’angoisse permanente » : le calvaire quotidien des Burundais

24.07.2017

Alice (nom d’emprunt) vit à Bujumbura, la capitale du Burundi. Bien que le gouvernement affirme que le pays fonctionne, son récit révèle une toute autre réalité. Entre pénuries et peur d’être dénoncée, elle décrit son quotidien dans une ville à genoux.

Alice: « Mon premier réflexe au réveil, c’est de vérifier les SMS et les tweets sur des incidents pendant la nuit. Il y a aussi des avertissements sur les possibles incidents pendant la journée, qui heureusement se révèlent parfois seulement des rumeurs.

Les plans de la journée se passent rarement comme on les a planifiés ! Les blocages sont aussi imprévisibles qu’inimaginables.

Par exemple, on part de chez soi mais on ne va pas loin : des policiers bloquent le passage parce qu’une autorité va passer par cette rue. Cela peut durer de quelques dizaines de minutes à plusieurs heures. Pour un retard en classe, au bureau ou à un rendez-vous « on a bloqué les routes » est une excuse valable et compréhensible par tous !

Arrivés au travail, on n’est pas à l’abri de surprises comme des coupures d’électricité ou d’Internet. Dans ces conditions, il est difficile de tenir les délais, ce qui fait qu’on est tout le temps sous pression. »

 

Pénurie de biens courants

« Partout, les produits importés sont en rupture de stocks, y compris les médicaments. Maintenant, quand un médecin prescrit une ordonnance, il indique directement trois ou quatre équivalents, parce qu’il sait qu’on ne trouvera peut-être pas le bon médicament en pharmacie.

Le cout des aliments a fortement augmenté ; le pain est devenu un luxe pour la majorité des familles. Même le sucre, pourtant produit au Burundi, est devenu rare parce qu’il est plus lucratif de l’exporter.

La pénurie de carburant aggrave le tout : les prix du transport grimpent, les prix les aliments suivent le même cours, les services fonctionnent au ralenti. Pour acheter du carburant, il faut parfois se rabattre sur le marché noir, où le litre coûte trois fois plus cher que la normale. »

 

Précarité économique

« Ma situation économique s’est dégradée, comme tout le monde. L’augmentation des prix et le manque de travail tarissent mes revenus. Alors que mes obligations en tant que parent restent les mêmes !

J’ai été obligée de prendre des décisions qui font mal, comme inscrire ma benjamine dans une autre école parce que l’ancienne coûtait trop cher. J’ai coupé l’aide à mes enfants qui sont à l’université, avec les conséquences que cela comporte pour leur réussite et leur moral.

Dans ces circonstances, impossible de mettre de l’argent de côté, nous n’avons donc aucune sécurité quant à l’avenir. Je vis dans la peur de tomber malade et de ne pas pouvoir aller travailler ! Pendant combien de temps survivrai-je ? Que faire pour améliorer la situation ? Autant de questions que l’on se pose sans trouver de réponses. »

 

Liberté muselée

« A Bujumbura, il faut faire très attention à ce qu’on dit ou fait. Chacun contrôle ses mouvements, ses fréquentations, les sujets de discussion, les quartiers à fréquenter ou pas. On ne se confie qu’entre petits groupes de gens « sûrs ».

Inversement, on est vite mal vu si on semble (à tort ou à raison) trop proche du pouvoir : la stigmatisation peut couter cher dans certaines situations.

La presse indépendante est presque inexistante au Burundi. Un nombre impressionnant d’organisations pro-gouvernement ont émergé depuis la crise. Elles véhiculent des messages venimeux sur les institutions onusiennes et les membres de l’opposition en exil. »

 

Violences quotidiennes

« Les fouilles à domicile sont courantes, voire quotidiennes dans certaines zones. Si on est fouillé, il vaut mieux ne pas poser de questions. L’unique option est de coopérer pour que ça finisse vite et éviter les problèmes.

Dans la rue, les violences policières ou des Imbonerakure* sont quasi-quotidiennes. Chaque jour que Dieu a créé, on trouve au moins deux personnes assassinées, sans compter les disparitions forcées. Il n’y a pas de couvre-feu officiel, mais il existe de fait partout dans le pays. Dans certains endroits, personne ne s’avise de sortir au-delà de 20h, au risque de se faire tabasser ou même assassiner. »

 

Les enfants, premières victimes

« J’ai tout le temps peur pour mes enfants, même les garder à l’intérieur est risqué : il y a toutes sortes de rumeurs sur des attaques dans les maisons.

Tous les parents vivent dans la même angoisse. Quand un enfant sort et que son mobile s’éteint, c’est la panique. Souvent des parents donnent l’alerte par SMS, craignant pour leur enfant parce qu’il n’est pas rentré à l’heure convenue. Une heure plus tard, un autre message de remerciement au bon Dieu arrive, parce que l’enfant est finalement rentré.

Ce quotidien provoque chez moi tantôt de la peur, tantôt de la révolte et la colère. Mais le sentiment qui domine, c’est la totale impuissance. Parfois je me demande pendant combien de temps nous pourrons tenir comme ça. »

 

* Les Imbonerakure sont une milice de jeunes proches du pouvoir. Ils ont souvent été accusés de meurtres, viols et autres atrocités contre les civils.

 

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