Crimes contre l’humanité au Burundi : et maintenant ?
La Commission d’enquête des Nations Unies a estimé que des crimes contre l’humanité ont été commis au Burundi depuis 2015. Alors que la tension est à son comble entre Bujumbura et la communauté internationale, deux experts juridiques analysent les différents scénarios possibles.
Comment s’est déroulé la présentation de la Commission d’enquête sur le Burundi ? Quelles ont été les réactions des Etats et des ONG ?
Me Lambert Nigarura, Président de la Coalition burundaise pour la CPI : A part quatre Etats, tous les pays et les organisations de la société civile ont salué le travail de la Commission, le courage et la détermination de ses membres.
Pamela Capizzi, Responsable du programme Burundi de TRIAL International : J’étais satisfaite que certains Etats déplorent le retrait du Burundi du Statut de Rome, l’appelant à revenir sur sa décision. La plupart ont aussi adhéré à la recommandation de la Commission d’enquête concernant la saisine de la CPI.
Justement, que pensez-vous de cette recommandation à la CPI d’ouvrir une enquête* ?
LN : Cette recommandation est très pertinente. C’est la preuve que les membres de la Commission d’enquête sont convaincus que des crimes qui relèvent de la compétence de la CPI ont été commis, c’est-à-dire les crimes les plus graves commis à grande échelle.il appartient aujourd’hui à la CPI qui a la compétence de qualifier les crimes commis de saisir la balle au bond.
PC : Je me réjouis moi aussi de cette recommandation, notamment car elle est le fruit d’une documentation méticuleuse ainsi que d’une analyse juridique rigoureuse de la Commission d’enquête.
Quels sont à présent les différents scenarios possibles ?
PC : Si la CPI ouvre une enquête avant le retrait du Burundi, le 27 octobre 2017, le gouvernement aurait l’obligation juridique de collaborer. Mais vu la défiance de Bujumbura ces derniers mois, l’écueil prévisible est qu’il n’en soit rien. L’autre scénario est que la CPI ouvre une enquête après le 27 octobre. Le Burundi n’aurait malheureusement plus l’obligation de collaborer, mais au moins une enquête serait en cours, envoyant un message fort et permettant d’établir la vérité.
LN : Si la CPI n’ouvrait pas d’enquête du tout, ce sera une grande déception pour les victimes et un dangereux précédent pour la justice internationale. Le Gouvernement du Burundi aurait réussi à défier la communauté internationale, les Nations Unies et tous les mécanismes judiciaires sans la moindre conséquence. Les Burundais, eux, se sentiraient trahis et abandonnés, alimentant le cercle vicieux de violences et de frustration qui contribue à l’instabilité politique.
PC : C’est absolument vrai : les victimes pourraient certes chercher justice par le biais d’autres mécanismes, mais le message principal resterait que les autorités du Burundi peuvent agir en toute impunité, sans avoir à répondre des crimes commis. D’autres pays pourraient alors s’immiscer dans la brèche.
Quelles sont les probabilités pour que la CPI ouvre une enquête à présent ?
PC : Le rapport de la Commission d’enquête est public, rigoureux et bien argumenté. Ses allégations que des crimes contre l’humanité ont été commis ne peuvent certainement pas laisser la CPI indifférente. Par contre, je tiens à préciser que l’ouverture d’une enquête par la CPI ne sera qu’un pas vers la lutte contre l’impunité au Burundi. Cette seule action ne pourra pas éradiquer le problème. J’espère donc que l’ouverture d’une enquête par la CPI n’arrêtera pas le processus de recherche de solutions durables contre l’impunité.
Le gouvernement burundais a récemment appelé les Etats africains à « faire corps contre la CPI » Me Lambert, quel est selon vous le sentiment dominant en Afrique ?
LN : Il faut comprendre que cet appel n’a pas eu d’écho. Il est vrai que les pays africains n’ont pas confiance en la CPI, mais peu envisagent réellement de se soustraire à sa juridiction. La société civile, dont je fais partie, est consciente que les Africains, qui sont les premières victimes de ces crimes, n’ont pas souvent accès à une justice indépendante. La CPI reste la seule juridiction au monde capable de leur garantir ce droit.
* La Cour pénale internationale a ouvert en 2016 un examen préliminaire qui pourrait déboucher sur une enquête. En savoir plus