Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur gambien, bientôt jugé en Suisse pour crimes contre l’humanité

18.04.2023 ( Modifié le : 19.04.2023 )

(Genève 18.04.2023) – Le Ministère public de la Confédération (MPC) a transmis hier au Tribunal pénal fédéral (TPF) son acte d’accusation contre Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur gambien. Il l’accuse d’avoir participé à des crimes contre l’humanité commis sous la dictature de Yahya Jammeh. Le procès à venir marque une étape décisive dans le processus de justice transitionnelle en Gambie où des démarches sont aussi en cours afin de traduire en justice les responsables de l’ère Jammeh. Le dossier est également emblématique pour la Suisse, car il s’agira du second procès à se tenir devant le TPF sur la base du principe de la compétence universelle. Il l’est d’autant plus car jamais en Europe un aussi haut responsable n’a encore été jugé en application de ce principe.

 

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Ousman Sonko bientôt face à la justice

Ousman Sonko comparaîtra devant le TPF à Bellinzone à une date qui reste encore à déterminer. Les autorités de poursuite pénales fédérales l’accusent d’avoir participé au meurtre d’une personne perçue comme opposante au régime en l’an 2000, d’être l’auteur de multiples violences sexuelles entre 2000 et 2002 ainsi qu’en 2005 sur une même victime, d’avoir participé à des actes de torture (notamment sous la forme de lésions corporelles graves et de violences sexuelles) et de séquestration perpétrés contre des personnes suspectées d’avoir fomenté un coup d’Etat en mars 2006 ainsi que d’avoir participé au meurtre d’un politicien en 2011. Le MPC considère en outre qu’Ousman Sonko est co-responsable d’actes de séquestration et de torture commis en 2016 – dont l’un a mené au décès de Solo Sandeng, un membre éminent du parti d’opposition (United Democratic Party – UDP) – à l’encontre de manifestant·es alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Selon le MPC, ces actes sont constitutifs de crimes contre l’humanité.

Selon Fatoumatta Sandeng, fille de feu Solo Sandeng, « les victimes de violations des droits humains sous le régime de Jammeh aspirent à ce que justice soit faite ! La mise en accusation d’Ousman Sonko renforce l’espoir des victimes de voir leurs agresseurs tenus responsables des souffrances qu’ils leur ont infligées, à elles et à leurs familles.»

L’acte d’accusation est transmis au TPF plus de six ans après l’arrestation d’Ousman Sonko, laquelle est intervenue le 26 janvier 2017, soit le lendemain de la dénonciation pénale déposée par TRIAL International à son encontre. Rapidement, une instruction pour crimes contre l’humanité a été ouverte et Ousman Sonko a été placé en détention préventive. Entre 2017 et avril 2023, les autorités de poursuite ont entendu le prévenu à plusieurs reprises de même que les dix plaignant·es ainsi que des dizaines de témoins. Elles se sont également rendues en Gambie pour enquêter sur place.

 

Poursuivre les individus responsables des crimes de masse commis sous la dictature Jammeh

En janvier 2017, Yahya Jammeh – dont le règne a été marqué par des violations généralisées des droits humains – a été évincé du pouvoir. Durant ses 22 ans de gouvernance autoritaire, des opposant·es politiques, des journalistes, des activistes des droits humains ainsi que toute personne perçue comme une menace à l’encontre du gouvernement étaient systématiquement la cible d’actes de torture – incluant des actes de violence sexuelle – et victimes de détention arbitraire, de meurtre ou encore de disparition forcée. Ousman Sonko, l’un des plus fidèles alliés de Yahya Jammeh, qui a servi à ses côtés comme membre de la garde présidentielle, inspecteur général de police puis ministre de l’Intérieur jusqu’en 2016 aurait joué un rôle clé dans ce système de répression.

Si deux procédures pénales dirigées contre des anciens junglers (hommes de main de Jammeh) sont actuellement en cours en Allemagne et aux États-Unis, Ousman Sonko est à ce jour le plus haut responsable du régime amené à répondre des atrocités commises en Gambie. Bien qu’il convienne de saluer les efforts déployés en Gambie, notamment par la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC pour Truth, Reconciliation and Reparations Commission), pour faire la lumière sur les crimes passés, seuls deux procès se sont tenus jusqu’à maintenant dans le pays, le premier en septembre 2021 et le second en juillet 2022. Selon Musa Saidykhan, l’une des victimes des événements de mars 2006 : « beaucoup de progrès ont été réalisés en Gambie depuis 2017 mais davantage doit être fait, en particulier s’agissant de mettre en œuvre les recommandations de la TRRC. Il n’y aura pas de pardon tant que justice n’aura pas été rendue

 

Un dossier hautement symbolique pour la compétence universelle en Suisse et en Europe

Après la condamnation de l’ancien chef rebelle Alieu Kosiah en 2021, ce dossier constituera la seconde affaire que le TPF sera amené à trancher sur la base du principe de compétence universelle. Ousman Sonko sera le plus haut responsable à être traduit en justice en Europe sur la base de ce principe juridique. Benoit Meystre, conseiller juridique chez TRIAL International explique : « à travers ce dossier, les autorités de poursuite pénales démontrent leur ferme volonté d’enquêter sur les crimes de droit international et d’empêcher les potentiels auteurs de ces crimes d’obtenir refuge dans le pays. Ce dossier envoie également un signal fort selon lequel la compétence universelle est un outil juridique puissant permettant de traduire les plus hauts responsables en justice.»

TRIAL International salue la décision prise ce jour par le MPC et continuera d’accompagner les parties plaignantes jusqu’au procès et pendant celui-ci.

 

L’AFFAIRE EN BREF

Contexte (pour plus d’informations, le rapport final de la TRRC est disponible sur le site du Ministère de la justice gambien)

  • 22 juillet 1994 : Yahya Jammeh – alors officier au sein de l’armée gambienne – s’impose au pouvoir à la suite d’un coup d’état qui renverse l’ancien président Dawda Jawara. La constitution gambienne est suspendue et le pays est alors dirigé par une junte militaire menée par Yahya Jammeh.
  • 29 septembre 1996 : Yahya Jammeh est formellement élu président de la Gambie à la suite d’un processus électoral controversé.
  •  14 janvier 2000 : Un membre de la garde présidentielle est assassiné car suspecté d’avoir monté un coup d’état contre la junte au pouvoir.
  • Entre 2000 et 2002, ainsi qu’en 2005 : Ousman Sonko, commandant de la garde présidentielle par intérim, puis formellement nommé à cette position en mai 2003, aurait violé à plusieurs reprises une victime et commis de multiples autres formes de violences sexuelles sur sa personne.
  • 15 février 2005 : Ousman Sonko est nommé Inspecteur Général de la police gambienne par intérim par Yahya Jammeh
  • 17 janvier 2006 : Ousman Sonko est confirmé à cette position avec effet immédiat.
  • 21 mars 2006 : Yahya Jammeh ordonne l’arrestation de personnes suspectées de préparer un coup d’état. Ces victimes sont envoyées devant un « panel d’investigation », composé de différentes forces de sécurité, dans lequel Ousman Sonko aurait joué un rôle clé. Les victimes sont sujettes à des actes de torture avant d’être envoyées dans la tristement célèbre prison Mile 2.
  • Novembre 2006 : Ousman Sonko est nommé ministre de l’Intérieur.
  • 29 octobre 2011 : Un membre du parti politique de Yahya Jammeh est assassiné alors qu’il terminait de purger une peine de prison prononcée pour des infractions financières à la suite d’une dispute avec le président Jammeh.
  • 14 avril 2016 : Le parti démocratique unifié (United Democratic Party – UDP) appelle à des réformes électorales lors d’une marche pacifique qui est violemment réprimée. Les manifestant·es sont battu.es par l’unité d’intervention de la police (Police Intervention Unit – PIU) et nombre d’entre eux sont arrêté·es, emmené·es au siège de la PIU, puis à la tristement célèbre prison de Mile 2 ainsi qu’au siège de l’agence nationale de renseignements (National Intelligence Agency – NIA) où ils et elles subissent des actes de torture. Le secrétaire à l’organisation du parti d’opposition, Solo Sandeng, est torturé à mort et son corps secrètement enterré durant la même nuit. D’autres manifestant·es sont détenu·es pendant plusieurs jours à la NIA puis en prison dans des conditions particulièrement illégales et inhumaines en raison de leur position d’opposant·es politiques.
  • 16 septembre 2016 : Ousman Sonko est démis de ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Il quitte la Gambie le même mois pour la Suède où il dépose une demande d’asile. Selon les accords de Dublin et parce qu’il dispose d’un visa pour la Suisse (obtenu afin qu’il puisse participer à une conférence des Nations Unies), il y est envoyé en novembre 2016.
  • 1er décembre 2016 : Adama Barrow remporte l’élection présidentielle. Yahya Jammeh rejette les résultats du scrutin et déclare l’état d’urgence en Gambie.
  • 20 janvier 2017 : Yahya Jammeh quitte le pouvoir sous la pression internationale et s’exile en Guinée Équatoriale où il réside depuis lors.
  • 13 décembre 2017 : L’Assemblée Nationale gambienne adopte la loi sur la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC Act) prévoyant l’instauration d’une commission vouée à établir la vérité sur les nombreuses violations de droits humains perpétrées durant les 22 ans de règne de Yahya Jammeh.
  • 24 décembre 2021 : La TRRC publie son rapport final dans lequel Ousman Sonko apparaît comme l’un des principaux responsables des violations de droits humains et appelle à ce qu’il soit poursuivi pour de multiples exactions.

25 mai 2022 : Le gouvernement gambien publie un livre blanc dans lequel quasiment toutes les recommandations formulées par la Commission sont acceptées, y compris celles concernant Ousman Sonko.

Chronologie de l’affaire en Suisse

  • 25 janvier 2017 : TRIAL International dépose une dénonciation pénale à l’encontre d’Ousman Sonko par-devant les autorités de poursuite bernoises après avoir eu la confirmation de sa présence en Suisse.
  • 26 janvier 2017 : Ousman Sonko est arrêté à Berne et les autorités de ce canton ouvrent une instruction pénale à son encontre pour crimes contre l’humanité.
  • 28 janvier 2017 : La mise en détention préventive d’Ousman Sonko est prononcée.
  • 6 février 2017 : Le MPC reprend le dossier pour instruction.
  • 6 avril, 1er et 13 juin, 27 octobre 2017 : Sept victimes déposent plainte contre Ousman Sonko par-devant le MPC avec le soutien de TRIAL International.
  • 13 mars et 6 juillet 2018 : Deux victimes supplémentaires déposent plainte contre Ousman Sonko auprès du MPC avec le soutien de TRIAL International.
  • 2017 à 2021 : Ousman Sonko, les parties plaignantes et des dizaines de témoins sont entendu.e.s dans le cadre de l’instruction pénale. La Suisse demande l’entraide judiciaire internationale à la Gambie et les autorités suisses s’y déplacent pour enquêter.
  • 12 avril 2022 : Une nouvelle victime dépose plainte par-devant le MPC. Il y a maintenant 10 parties plaignantes dans le dossier.
  • 1er septembre 2022 : Le dernier jour de l’audition finale d’Ousman Sonko a lieu.
  • 17 avril 2023 : Le MPC transmet son acte d’accusation au TPF reprochant à Ousman Sonko sa responsabilité dans les crimes contre l’humanité commis en Gambie. Ousman Sonko reste en détention préventive jusqu’à son procès.

 

 

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