Gambie : un membre présumé de « l’escadron de la mort » vient d’être inculpé en Allemagne

03.03.2022

Une avancée majeure pour les victimes d’abus commis sous le régime de Yahya Jammeh

(Berlin et Genève, 03.03.2022) – La mise en accusation en Allemagne, annoncée le 03.03.2022, d’un ancien membre présumé de « l’escadron de la mort  » gambien soupçonné de crimes contre l’humanité est une étape importante pour les victimes gambiennes et la justice internationale, ont déclaré aujourd’hui TRIAL International et la Commission internationale des juristes.

Portrait de Baba Hydara, fils du journaliste assassiné le 16 décembre 2004 et membre du centre gambien pour les victimes de violations de droits humains. © Will Baxter / TRIAL International

« Bai L. » était un membre présumé du célèbre escadron de la mort connu sous le nom des « Junglers« , et mis en place par le président de l’époque, Yahya Jammeh, dont le règne de 22 ans a été marqué par des violations généralisées des droits humains. Yahya Jammeh se trouve actuellement en Guinée équatoriale, où il a fui après avoir perdu l’élection présidentielle gambienne de 2016 face à Adama Barrow, élu en décembre 2021 pour un second mandat. La Commission gambienne vérité, réconciliation et réparations (TRRC pour Truth Reconciliation and Repararions Commission) a récemment recommandé des poursuites à l’encontre de Yahya Jammeh et de nombreux autres individus, y compris Bai L. pour les crimes qu’ils auraient commis.

Bai L., arrêté par les autorités allemandes en mars 2021, est le troisième complice présumé de Jammeh à être détenu à l’étranger. Parmi les autres suspects figurent l’ancien ministre de l’Intérieur de la Gambie, Ousman Sonko, qui fait l’objet d’une enquête en Suisse depuis 2017, et un autre ancien Jungler, Michael Sang Correa, inculpé en juin 2020 aux États-Unis.

« Le bras long de la loi rattrape Yahya Jammeh et ses complices dans le monde entier », a déclaré Reed Brody, un commissaire au sein de la Commission internationale des juristes qui travaille avec les victimes de Jammeh. « Les sbires de Jammeh ont été arrêtés en Allemagne, en Suisse et aux États-Unis, et la Commission vérité gambienne a demandé à ce que ses complices en Gambie soient poursuivis, ainsi que Jammeh lui-même qui se trouve en Guinée équatoriale. »

La mise en accusation de Bai L., ainsi que les arrestations en Suisse et aux États-Unis, ont été possibles en vertu du principe juridique de compétence universelle qui permet, et parfois oblige, d’enquêter et de poursuivre les crimes les plus graves au regard du droit international, indépendamment du lieu où ils ont été commis et de la nationalité des suspects ou des victimes. Les autorités allemandes enquêtent également sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves dans un certain nombre d’autres pays. Le 13 janvier dernier, une cour allemande a condamné un colonel syrien impliqué dans la torture de milliers de personnes, à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité.

Les procureurs allemands accusent Bai L., qui habitait la ville de Hanovre, d’avoir en tant que Jungler, fait office de chauffeur et conduit ses complices vers plusieurs scènes de crimes entre décembre 2003 et décembre 2006. Il aurait ainsi été impliqué dans trois « ordres de liquidation », conduisant d’autres Junglers sur les lieux où des attaques ont été commises. Parmi les personnes visées figuraient l’éminent rédacteur en chef d’un journal, Deyda Hydara, critique du gouvernement de Jammeh, assassiné en 2004, un opposant présumé, Dawda Nyassi, tué en 2006, ainsi qu’un avocat, Ousman Sillah, qui a survécu à une tentative d’assassinat un an auparavant. Bai L. lui-même a décrit sa participation à ces événements dans des interviews radio en 2013 et en 2014.

« Je veux que justice soit faite pour mon père et pour toutes les autres victimes de Yahya Jammeh et de ses forces de sécurité« , a déclaré Baba Hydara, fils de Deyda Hydara et plaignant dans le cadre des poursuites en Allemagne. « Toutes les personnes impliquées dans le meurtre de mon père devront faire face à la justice et nous ne nous arrêterons pas tant que chacune d’entre elles ne sera pas traduite devant un tribunal. »

La TRRC, dont le rapport final a été publié le 24 décembre 2021 a recommandé des poursuites contre Bai L. concernant les affaires Hydara et Sillah, même s’il n’a pas été cité pour l’affaire Nyassi. La TRRC a également recommandé des poursuites à son encontre relativement au meurtre de 59 migrants ouest-africains en 2005. Les deux organisations ont demandé aux autorités allemandes d’approfondir l’enquête sur ce massacre qui constitue l’une des atrocités les plus emblématiques commises sous le régime de Jammeh. Bai L. a lui-même décrit dans l’interview radio de 2013 sa participation aux opérations ayant mené au meurtre des migrants, à l’exécution de l’ancien chef des services de renseignement Daba Marenah et de ses quatre associés en avril 2006, ainsi qu’au meurtre du frère de Jammeh, Haruna Jammeh.

L’acte d’accusation de Bai L. est maintenant soumis au tribunal régional supérieur de Celle. Si le tribunal l’approuve, un procès pourrait s’ouvrir au cours du premier semestre 2022.

« L’inculpation de Bai L. est significative à plusieurs égards« , selon Philip Grant, Directeur exécutif de TRIAL International, qui a transmis des éléments de preuve aux autorités allemandes sur cette affaire : « Cela conduirait à l’ouverture du premier procès fondé sur la compétence universelle pour juger les atrocités commises sous le régime de Jammeh et permettrait ainsi de faire la lumière sur l’unité paramilitaire des Junglers et ses liens avec l’ancien président, préparant davantage le terrain pour son inculpation. »

Le communiqué de presse relatif à l’acte d’accusation peut être consulté sur le site du procureur fédéral allemand à la page suivante : https://www.generalbundesanwalt.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/aktuelle/Pressemitteilung2-vom-03-03-2022.html?nn=478184

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