Une note manuscrite au cœur des débats : Résumé des auditions de la deuxième semaine du procès d’Ousman Sonko
(15-19 janvier 2024, Tribunal pénal fédéral, Suisse)
15 janvier 2024 – jour 6
Examen de la responsabilité d’Ousman Sonko dans le meurtre de Baba Joe en 2011
Ousman Sonko est accusé d’avoir tué intentionnellement Baba Jobe – ancien membre de l’Assemblée nationale – à Banjul en octobre 2011, en complicité avec un groupe d’auteurs. Il a contesté toutes les charges retenues contre lui en relation avec cet événement.
> Ousman Sonko a contesté toutes les charges retenues contre lui en relation avec cet événement.
Un témoin, qui a été entendu pendant la phase d’enquête par les autorités de poursuite pénale suisses en 2021 en Gambie, a été appelé à témoigner à la demande de l’accusation. Il était gardien de prison (assistant de David Colley, directeur général des prisons, à la prison de Mile 2) et était chargé de surveiller le prisonnier Baba Jobe, hospitalisé en octobre 2011.
Il a confirmé que, sur ordre de son supérieur, il a permis à un groupe de Junglers d’accéder à la chambre d’hôpital de Baba Jobe, qui l’ont ensuite tué.
Le témoin a également déclaré que des détenu·e·s étaient ramassé·e·s dans la prison de Mile 2, principalement par des Junglers, et que lorsqu’ielles étaient ramené·e·s, il était évident qu’ils ou elles avaient été torturé·e·s.
Le témoin a rappelé que David Colley, son supérieur, fournissait des rapports quotidiens à Ousman Sonko tous les matins par téléphone, ce que l’accusé a nié. Il n’a pas non plus admis avoir donné à Colley l’ordre d’assassiner Baba Jobe.
15-17 janvier 2024 – jours 6-8
Examen de la responsabilité d’Ousman Sonko dans la privation de liberté, la torture et les conditions de détention cruelles des manifestant·e·s à partir d’avril 2016
Ousman Sonko est accusé, en complicité avec un groupe d’auteurs, d’avoir torturé plusieurs opposant·e·s politiques et de les avoir illégalement privé·e·s de liberté dans le cadre d’une manifestation politique organisée en avril 2016 à Banjul. Dans ce cadre, Ousman Sonko est notamment soupçonné d’avoir torturé puis tué l’un des organisateur·ice·s de la manifestation.
> Ousman Sonko a contesté toutes les charges retenues contre lui en lien avec la torture, la privation de liberté et les conditions de détention cruelles des manifestant·e·s en avril 2016.
Les plaignant·e·s et le procureur ont demandé à ce que, des témoins qui avaient tou·te·s deux témoigné devant le TRRC en 2020, soient entendu·e·s.
Au cours de l’audience, le premier témoin – dont le témoignage a été demandé par les plaignant·e·s -, qui était gardien de prison, a confirmé qu’il avait travaillé dans la prison de Mile 2 sous la présidence de Jammeh, où il a lui-même été emprisonné plus tard. Mile 2 n’était pas un endroit propre, où l’air ne circulait pas bien. Le peu de nourriture que les détenu·e·s recevaient les rendait malades. Dans l’aile de sécurité de Mile 2, les détenu·e·s politiques n’étaient pas détenu·e·s au même endroit que les autres. Le témoin a entendu dire que les Junglers et la NIA avaient accès aux détenu·e·s. Ils seraient venus pendant la nuit pour que personne ne sache ce qui se passait. Le témoin a confirmé avoir vu des actes de torture commis à Mile 2 lorsqu’il était lui-même détenu. Il a ajouté qu’il n’avait jamais vu Ousman Sonko en prison.
Le deuxième témoin – dont le témoignage a été demandé par le procureur -, faisait partie des manifestant·e·s arrêté·e·s lors de la manifestation du 14 avril 2016. Il a déclaré avoir vu Ousman Sonko ainsi que d’autres agents de sécurité à la NIA. Là, les personnes arrêtées ont été fortement battues et ont subi des pressions pour qu’elles signent des déclarations pré-écrites. Il a ensuite été emprisonné. Le témoin a ensuite détaillé les actes de torture et les humiliations subies par les personnes arrêtées. Lui-même a dû subir des actes d’une particulière cruauté.
Il a ensuite été traduit devant un panel comprenant Ousman Sonko, le directeur de la MA et le directeur des opérations de la NIA. Devant ce panel, visiblement blessé, il a de nouveau été menacé. Il a ensuite été transféré dans d’autres prisons, où il a été maltraité, sans traitement médical et souvent sans accès à un·e avocat·e ou à sa famille.
En ce qui concerne le contexte politique et des droits humains en Gambie, le témoin a expliqué que, sous Yahya Jammeh, les membres de l’opposition ou les journalistes étaient soit emprisonné·e·s, soit contraint·e·s de quitter le pays. Le pouvoir judiciaire était sous l’influence du président et les procédures étaient biaisées.
Fait marquant de la procédure
Le dépôt de documents supplémentaires relatifs à l’exécution illégale de neuf détenu·e·s de Mile 2 en 2012 (articles de journaux gambiens, vidéos, etc.) a été discuté à la reprise de l’audience. De l’avis du Procureur et des plaignant·e·s, ces documents soutiennent le fait qu’une politique d’oppression systématique et planifiée a été mise en place par les autorités gambiennes. Les documents soulignent l’interaction entre les différents acteurs étatiques – et en particulier le rôle d’Ousman Sonko – au sein du gouvernement de Yahya Jammeh pour mettre en œuvre cette politique. La défense a fait valoir que le dépôt de ces documents devait être rejeté car les exécutions de détenu·e·s en question étaient légales et ne pouvaient donc pas constituer la preuve d’une attaque systématique ou généralisée contre la population civile.
> La Cour a statué en faveur des plaignant·e·s et du procureur en acceptant d’ajouter ces nouvelles preuves au dossier.
17-18 janvier 2024 – jours 8-9
Examen de la responsabilité d’Ousman Sonko dans la privation de liberté, la torture et les conditions de détention cruelles des manifestants à partir d’avril 2016 en tant que crimes contre l’humanité
Ousman Sonko est accusé, en complicité avec un groupe d’auteurs, d’avoir torturé plusieurs opposant·e·s politiques et de les avoir illégalement privé·e·s de liberté dans le cadre d’une manifestation politique organisée en avril 2016 à Banjul. Dans ce cadre, Ousman Sonko est notamment soupçonné d’avoir torturé puis tué l’un des organisateur·ice·s de la manifestation.
Pour commencer, deux plaignantes ont été appelés à fournir leurs déclarations.
Les deux plaignantes qui ont été appelées à témoigner au sujet des événements d’avril 2016 sont d’anciennes membres de l’UDP (parti d’opposition sous Jammeh), qui se sont fortement engagées dans les activités du parti dès leur plus jeune âge. Elles ont été arrêtées puis torturées en avril 2016 et maintenues en détention pendant plusieurs mois.
La première plaignante a expliqué avoir été arrêtée en avril 2016 et emmenée au siège de l’Unité d’intervention de la police (PIU HQ) avec d’autres personnes. Elle a ensuite été emmenée à la prison Mile 2 et dans les locaux de la National Intelligence Agency (NIA). Elle a décrit les tortures et les humiliations qu’elle a subies, ainsi que les conditions de détention sordides. Les opposants politiques détenus étaient traités comme des animaux. Elle souffre encore de graves séquelles physiques.
La deuxième plaignante a expliqué qu’elle avait été arrêtée le 14 avril 2016 et emmenée au QG de la PIU, où elle a été blessée et humiliée. Avec d’autres personnes arrêtées, elle a été emmenée à Mile 2, puis dans les locaux de la NIA. Là, on lui a bandé les yeux et on l’a soumise à la torture. Pendant son séjour à Mile 2, elle n’a pas eu accès à un·e médecin ou à un·e avocat·e et les conditions de détention étaient très mauvaises.
Une troisième plaignante, qui a subi des actes similaires à partir d’avril 2016, s’était battue depuis plusieurs années pour que justice soit rendue dans le cadre de la procédure engagée contre Ousman Sonko. En effet, en juin 2017, elle avait déposé une plainte contre lui en Suisse pour les actes de torture qu’elle a subis à l’époque. Malheureusement, elle est décédée avant d’avoir pu raconter son histoire devant la Cour.
Par la suite, Ousman Sonko a été appelé à témoigner sur les événements du 14 avril 2016.
Il a nié avoir été présent au siège de l’unité d’intervention de la police ou avoir participé au groupe d’enquête de la NIA. Il a réaffirmé que les Junglers n’étaient pas sous sa supervision.
Des notes qui semblent être des preuves à charge ont été trouvées dans sa valise par la police en 2017. Il a déclaré que le contenu n’était que partiellement vrai, même s’il a admis qu’il s’agissait de son écriture.
En outre, il a déclaré qu’en avril 2016, les manifestant·e·s n’avaient pas été arrêté·e·s en raison de leur opposition politique, mais parce que la manifestation s’était déroulée illégalement. Les arrestations n’étaient donc qu’une question de sécurité.
Bien qu’il ait reconnu les mauvaises conditions de détention à l’époque, Ousman Sonko a répété qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour les améliorer pendant son mandat de Ministre. Il n’a eu connaissance d’aucune agression sexuelle et s’est excusé pour les désagréments que les conditions de détention ont pu causer aux plaignant·e·s. Il a réaffirmé qu’il n’avait jamais reçu l’ordre de tirer sur les manifestant·e·s et qu’il n’aurait pas suivi un tel ordre.
19 janvier 2024: Le procès est suspendu jusqu’au lundi 22 janvier 2024
Après l’audition d’Ousman Sonko le 18 janvier 2024, un plaignant a été appelé à faire une déclaration sur son arrestation et la torture qu’il a subie en 2006. L’audience devait se poursuivre le 19 janvier 2024.
La défense a informé la Cour et les parties qu’elle ne serait pas en mesure de représenter son client le lendemain. Le procès ne pouvant se poursuivre sans la présence de la défense, la Cour a suspendu la procédure et informé les parties qu’elle reprendrait le lundi 22 janvier 2024, à 8h30 (heure d’Europe centrale). En conséquence, les plaignant·e·s restant·e·s devront être interrogé·e·s la semaine prochaine, c’est pourquoi la Cour a accepté que leur séjour soit prolongé.
Les autres plaignant·e·s qui devaient quitter la Suisse le 20 janvier 2024 – leurs dépositions faites – n’auraient pas été en mesure d’entendre la suite de l’interrogatoire de l’accusé la semaine prochaine sans les moyens de prolonger leur séjour. Néanmoins, il n’est pas certain que la Cour finisse par les rembourser, entièrement ou même du tout.
En ce qui concerne l’accès des victimes à la justice, TRIAL International croit fermement que la présence des plaignant·e·s à l’audience d’Ousman Sonko et la confrontation avec les faits en jeu peuvent contribuer à leur processus de guérison et apporter à chacun·e la conclusion qu’ielles attendent depuis des années maintenant.
TRIAL International rappelle que les plaignant·e·s auraient dû être invité·e·s à assister à l’intégralité du procès dès le début, et leurs frais pris en charge, car la participation des victimes à ces procès est de la plus haute importance et s’aligne sur le principe de compétence universelle, qui permet aux victimes d’être entendues devant des juridictions étrangères sur les crimes graves qu’elles ont subis.
>> Ce résumé de la deuxième semaine du procès d’Ousman Sonko reprend les points les plus importants abordés au cours des audiences. TRIAL International s’efforce de résumer le plus fidèlement possible ce qui a été dit. L’organisation ne peut être tenue responsable d’éventuelles erreurs ou omissions. <<