Affaire Rifaat al-Assad: de la nécessité d’un procès à bref délai

20.03.2024 ( Modifié le : 27.03.2024 )

Après 10 ans d’enquête, Rifaat al-Assad a été mis en accusation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité le 11 mars 2024. Étant donné l’âge avancé de l’accusé et le besoin urgent de justice pour les victimes du massacre de Hama en 1982, TRIAL International a sollicité qu’un procès puisse se tenir à brève échéance. Nous insistons également sur la nécessité – pour les parties plaignantes, le public intéressé et les journalistes qui couvriront le procès – qu’un service d’interprétation soit mis en place durant l’intégralité des débats. Cette mesure est nécessaire pour assurer un accès adéquat à la justice.

 

Vous pouvez lire la lettre envoyée au Tribunal pénal fédéral ici :

 

A l’attention des magistrat·e·s en charge de la procédure dirigée contre Rifaat al-Assad – Tenue du procès et interprétation

Mesdames, Messieurs les Juges fédéraux,

Le 12 mars 2024, le Ministère public de la Confédération a publié un communiqué de presse informant de la mise en accusation de Rifaat al-Assad pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Nous comprenons de cette information que le Tribunal pénal fédéral est aujourd’hui saisi du dossier.

 

I/ Sur la nécessité d’un audiencement sans délai de ce procès

Aux termes de l’art. 330 al. 1 CPP, lorsqu’il y a lieu d’entrer en matière sur l’accusation, la direction de la procédure prend sans retard les dispositions nécessaires pour procéder aux débats. C’est à ce titre d’abord que nous nous permettons de vous écrire.

En effet, nous tenons par la présente à rappeler l’urgence de la tenue de ce procès étant donné l’âge de l’accusé d’une part, le besoin de justice des parties plaignantes ainsi que de la communauté syrienne dans son ensemble d’autre part.

Les faits dont est saisi votre Tribunal constituent le point de départ de décennies d’une dictature sanglante et barbare, et d’une répression sans limites de la part du gouvernement syrien – dirigé par Hafez al-Assad puis par Bachar al-Assad, l’actuel Président – à l’encontre de son peuple. Vous connaissez comme nous la violence inouïe dont a fait preuve le régime al-Assad dans l’histoire syrienne récente et jusqu’à ce jour encore.

Dans ce contexte, le massacre survenu à Hama en février 1982 – soit il y a plus de 40 ans – constitue un traumatisme profond ancré au sein de la population syrienne, tant il démontre la violence dont était capable le régime. Les événements de Hama ont en outre ouvert la voie à de nombreux autres événements répressifs de la part de l’appareil étatique. Cela en toute impunité !

C’est ainsi qu’au-delà du procès d’un homme, les débats qui occuperont votre tribunal auront une valeur hautement symbolique pour les Syrien·ne·s qui se battent sans relâche pour que justice soit rendue aux innombrables victimes du massacre de Hama et, plus généralement, d’atrocités commises par le régime al-Assad. Ce procès sera évidemment aussi l’occasion tant attendue pour les parties plaignantes impliquées de se faire entendre par votre Tribunal.

Cela étant, avec les précitées, nous craignons que la procédure ne soit clôturée prématurément du fait d’un éventuel décès de l’accusé, étant précisé que Rifaat al-Assad est aujourd’hui âgé de 86 ans.

Comme vous le savez, un tel événement est malheureusement survenu dans une autre procédure fondée sur la compétence universelle, concernant cette fois l’Algérie et, plus précisément, Khaled Nezzar, lequel est décédé en fin d’année 2023 alors que devait se tenir son procès en Suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Nous considérons qu’il est dès lors capital que le procès de Rifaat al-Assad puisse se tenir et cela à brève échéance. Pour les raisons évoquées ici, nous souhaiterions respectueusement inviter votre Tribunal à envisager la possibilité de conserver les dates arrêtées pour le procès de Khaled Nezzar (du 17 juin au 19 juillet 2024) afin d’y juger Rifaat al-Assad en lieu et place.

La suggestion d’un procès en juin 2024 – justifiée à tous égards de même que pragmatique – aurait, selon nous, l’avantage d’offrir aux parties plaignantes, ainsi qu’à toutes les victimes du régime syrien, l’espoir d’obtenir les réponses judiciaires qu’elles attendent depuis des décennies.

Nous avons de ce fait bon espoir que votre Tribunal saura donner une suite favorable à cette proposition.

 

II/ Sur l’importance d’une interprétation intégrale des débats

Sur un autre thème non moins important, vous n’êtes pas sans savoir qu’en janvier et mars 2024, le procès de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, Ousman Sonko, s’est tenu au sein de votre Tribunal. Si le verdict n’a pas encore été prononcé, le temps est déjà venu – du moins pour notre organisation – de dresser le bilan de ce procès, qui a été le second de l’histoire judiciaire suisse à juger des crimes contre l’humanité sur la base de la compétence universelle.

À ce titre – et indépendamment du verdict à venir – force est de constater qu’il n’a malheureusement pas su répondre à toutes les attentes, ni eu les effets escomptés par les plaignant·e·s, la société civile gambienne, ni d’ailleurs par l’accusé lui-même, du fait d’une interprétation lacunaire des débats. En particulier, ni les questions préjudicielles ni les plaidoiries finales n’ont fait l’objet d’une interprétation en faveur du public.

Comme vous l’avez compris, le procès de Rifaat al-Assad concentrera énormément d’attention et d’attentes tant au sein de la diaspora syrienne qu’en Syrie et il nous paraît crucial qu’une interprétation intégrale des débats, du français vers l’arabe et inversement, soit mise à la disposition des parties et du public, ainsi que des journalistes et de la société civile qui y assisteront.
Vous savez sûrement qu’en Europe, plusieurs procès de compétence universelle ont d’ores et déjà permis de faire la lumière sur nombre d’atrocités commises en Syrie.

Très récemment, les juridictions néerlandaises nous paraissent avoir montré l’exemple en proposant un service d’interprétation intégral vers l’arabe en faveur du public présent au procès de Mustafa A. (Liwa Al-Quds) ainsi qu’une retransmission en livestreaming de celui-ci.

Quelques années auparavant, les juridictions allemandes ont, quant à elles, fait face à certaines critiques liées au manque d’interprétation durant le procès Al-Khatib (ou procès de Koblence), lequel constituait le premier procès de compétence universelle au monde concernant des exactions commises en Syrie. En effet, durant ce procès – même si certains journalistes accrédités avaient eu accès à un service de traduction sur injonction de la Cour constitutionnelle fédérale – l’absence d’interprétation pour le public présent durant les débats a été perçue comme un échec, puisqu’elle a empêché les principaux et principales intéressé·e·s – en Syrie et dans la diaspora – et la communauté internationale, d’en saisir avec précision la teneur, et ce malgré leur importance historique.

Lesdites critiques ont d’ailleurs mené le législateur allemand à revoir profondément son droit national. En effet, une réforme du Code des crimes contre le droit international est en cours en Allemagne afin de permettre à des journalistes ne maitrisant pas la langue de recourir à des services d’interprétation mis à disposition par les tribunaux. Cette réforme est le signe que le législateur allemand tend à promouvoir et à accorder davantage de considération aux questions de dissémination des informations relatives aux procès de droit pénal international.

Notre organisation est certaine que la mise à disposition d’un tel service durant le procès dirigé contre Rifaat al-Assad sera à même de répondre aux attentes des victimes syriennes et du public non francophone intéressé, de même qu’il contribuera à donner une dimension concrète à l’application de la compétence universelle.

En effet, une interprétation intégrale du procès matérialisera l’idée – déjà bien admise au sein des États qui ont adopté ce principe dans leur droit interne – selon laquelle la lutte contre l’impunité n’a pas de frontière et que l’ensemble de la communauté internationale est concerné lorsqu’il s’agit de crimes portant atteinte à l’humanité dans son ensemble.

Si nécessaire, notre organisation se tient à la disposition de votre Tribunal pour échanger sur les mesures concrètes qui pourraient être envisagées afin de permettre de répondre au mieux à l’impératif de publicité des débats dont il est question.

En espérant que vous saurez donner la suite qu’il convient à la présente, nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs les juges fédéraux, à l’expression de nos salutations distinguées.

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