Condamnation historique en Allemagne d’un ancien membre d’un escadron de la mort gambien pour crimes contre l’humanité

30.11.2023

(Genève, 30 novembre 2023) – Bai L., ancien membre de l’unité paramilitaire connue sous le nom de « Junglers », créée par l’ancien Président gambien Yahya Jammeh, a été condamné à la prison à perpétuité par un tribunal allemand pour deux meurtres et une tentative de meurtre constitutifs de crimes contre l’humanité. Il s’agit du premier procès qui s’est tenu sur la base de la compétence universelle pour juger les crimes commis sous la présidence de M. Jammeh. Le jugement revêt une signification majeure, non seulement pour les quatre parties plaignantes au procès, mais également pour l’ensemble des victimes et survivant·e·s de ces crimes.

©Human Rights Watch – Les « Junglers », unité paramilitaire formée par l’ancien Président gambien Yahya Jammeh, dont Bai Lowe était membre.

Bai L. a été condamné pour les meurtres du journaliste Deyda Hydara en 2004, de l’ancien soldat Dawda Nyassi en 2006, ainsi que pour la tentative de meurtre de l’avocat Ousman Sillah en 2003. Les juges ont ainsi suivi les réquisitions de la Procureure fédérale formulées lors de l’audience du 16 novembre dernier. Bai L. avait été arrêté en Allemagne en mars 2021, où il vivait depuis 2012 après avoir quitté la Gambie. Au cours de ce procès, ayant débuté le 25 avril 2022, le tribunal régional supérieur de Celle, en Basse-Saxe, a auditionné un grand nombre de témoins et a pris en compte des documents écrits et audio-visuels, y compris des interviews données par l’accusé à des radios gambiennes, ainsi que les transcriptions et enregistrements des audiences de la Commission gambienne Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) établie en 2017 pour faire la lumière sur les atrocités commises sous la présidence de Yahya Jammeh. Le juge a néanmoins rappelé à Bai L. son droit de contester sa condamnation devant la Cour fédérale.

L’Allemagne est compétente pour juger ces crimes sur la base de la compétence universelle. En vertu de ce principe, les États ont la possibilité, parfois l’obligation, de poursuivre les auteur·e·s de crimes internationaux se trouvant sur leur territoire, et ce quels que soient le lieu de commission des crimes ou la nationalité des auteur·e·s et des victimes.

TRIAL International est impliquée dans ce dossier depuis plusieurs années dans le cadre de son travail sur les graves violations de droits humains commises sous la présidence de Yahya Jammeh, avec plusieurs ONG partenaires telles que Human Rights Watch. TRIAL International et l’organisation allemande ECCHR ont contacté les autorités de poursuite allemandes dès août 2019 pour leur signaler la présence du suspect sur le territoire et savoir si une enquête était déjà diligentée à son encontre. A la suite de son arrestation en Allemagne en 2021, TRIAL International a transmis la même année des informations supplémentaires aux autorités de poursuite allemandes concernant son implication dans les faits qui lui étaient reprochés, notamment les interviews radio et les témoignages susmentionnés de la TRRC. Elle a ensuite apporté un soutien logistique et psychologique aux parties plaignantes.

Ce procès est historique puisqu’il a permis de condamner, pour la première fois, les crimes commis sous la présidence de Yahya Jammeh par un membre des Junglers, en mettant en cause l’un des outils de la répression étatique par laquelle l’ancien dictateur a réprimé l’opposition afin de se maintenir au pouvoir. En effet,

« la reconnaissance de la culpabilité de Bai L. pour crimes contre l’humanité en tant que personne ayant exécuté des meurtres sur ordre de la présidence permet de faire la lumière sur ce système d’oppression » a déclaré Babaka Mputu, Conseillère juridique chez TRIAL International. « C’est une étape particulièrement importante pour les poursuites en cours et à venir en Gambie et à l’étranger contre les donneurs d’ordre de ces crimes, y compris l’ex-Président lui-même » a-t-elle ajouté.

En effet, selon Baba Hydara, l’une des parties plaignantes du procès, « Bai Lowe n’est qu’une pièce du puzzle ». « Un jour, la personne qui sera en procès sera Yahya Jammeh. (…) Nous n’arrêterons pas tant que nous ne le verrons pas devant un juge. »

Le deuxième procès en application du principe de compétence universelle pour juger des crimes commis sous la présidence de Yahya Jammeh s’ouvrira en Suisse le 8 janvier 2024 à l’encontre d’Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur de la Gambie, également accusé de crimes contre l’humanité. Un autre ancien membre présumé des Junglers, Michael Correa, a été inculpé aux États-Unis en juin 2020 pour torture. Son procès aura lieu à Denver, au Colorado, et devrait débuter en septembre 2024.

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