Clause de non-responsabilité : Les trial highlights résument les points les plus importants discutés lors des audiences. TRIAL International fait de son mieux pour les retranscrire aussi fidèlement que possible et ne peut être tenue responsable de toute erreur ou omission.
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Arguments sur la crédibilité des parties
Les représentant·e·s légaux·le·s des parties plaignantes ont commencé leur plaidoirie en soutenant les arguments de la Procureure en faveur de la condamnation d’Ousman Sonko pour crimes contre l’humanité.
D’une manière générale, il a été soutenu et illustré qu’Ousman Sonko avait à plusieurs reprises et délibérément induit en erreur les autorités suisses de poursuite pénale depuis le début de l’enquête. Il s’est également montré sélectif dans l’utilisation des preuves recueillies – y compris les conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation – et ne les a utilisées que lorsqu’elles lui convenaient. Enfin, il a régulièrement rejeté la responsabilité sur d’autres personnes.
“Toute personne accusée a bien sûr le droit de garder le silence ou de donner des réponses vagues ou contradictoires quand et où cela lui convient. Cependant, il est également vrai que, selon la jurisprudence suisse, les déclarations évasives et vagues ainsi que les incohérences dans la description des faits portent gravement atteinte à la crédibilité d’une personne et à la crédibilité de ses déclarations.” |
Concernant les faits du 14 avril 2016, le témoignage de l’accusé a été incohérent à bien des égards. Par exemple, il a déclaré qu’il avait dû fuir le pays parce qu’il avait refusé les ordres du Président. Les ordres qui correspondaient aux notes écrites trouvées avec ses effets personnels pour remettre les détenus à la NIA. Puis, il a expliqué qu’il se souvenait du déploiement de la PIU pour lutter contre les émeutes là où la manifestation avait eu lieu. Il a ensuite décidé de ne pas faire d’autres commentaires. Il n’a pas non plus voulu fournir d’informations sur ses contacts téléphoniques des 14, 16 et 19 avril 2016, alors que pour cette dernière date, l’analyse de son téléphone a montré qu’un appel avait été transféré à la « DG NIA ». Sa mémoire est également restée sélective sur d’autres détails, notamment sur le lieu où il se trouvait à la date des faits. En effet, s’il a expliqué qu’il n’était pas présent à la PIU le 14 avril, il a expliqué qu’il s’y trouvait le 16 avril – un samedi – pour n’y faire « absolument rien ». Lors d’une autre audition, il a déclaré qu’il était là « à cause de cette manifestation non autorisée ».
D’autres exemples ont été donnés pour souligner le manque de crédibilité de l’accusé concernant ces événements, tout au long du procès. En particulier, à la lumière des preuves disponibles, il n’est pas crédible qu’il n’ait appris la mort d’un des détenus que le 16 avril 2016, alors que la rumeur de sa mort s’était rapidement répandue parmi le public et l’UDP. De même, il est absurde et contradictoire d’affirmer qu’il n’a appris la torture d’autres détenus que le 16 avril 2016.
Les affirmations d’Ousman Sonko selon lesquelles ses subordonnés – le directeur de l’administration pénitentiaire de l’époque et l’ancien IGP – ont agi de leur propre chef ou sans son consentement sont irréalistes et clairement contredites par les éléments de preuve recueillis. De plus, tous deux ont témoigné devant la TRRC qu’il y avait eu des manquements graves et systématiques de la part de la police en ce qui concerne les crimes commis sous le régime de Jammeh.
« Le fait que l’accusé nie les fautes graves et systématiques commises par la police et la prison, que même ses subordonnés ont admises, en dit long. » |
Malgré les tentatives de l’accusé pour se décharger de toute responsabilité, les preuves disponibles dans l’affaire ont également clairement montré que c’est le Ministre de l’intérieur qui a coordonné la coopération entre la NIA et la police, y compris la dissimulation des actes de torture.
« La négation du fait que les plaignant·e·s privé·e·s ont été gravement torturés le 14 avril 2016, ce qui était manifestement connu de lui et du grand public, montre une fois de plus à quel point les déclarations de l’accusé sur son rôle sont invraisemblables. En mai 2016, personne en Gambie – à l’exception de Sonko – ne prétendrait ne pas avoir été témoin de la disparition et de la torture de nos client·e·s. » |
Contrairement à la déclaration de l’accusé, les plaignant·e·s ont fourni aux autorités de poursuite des récits précis et détaillés des événements qu’ils ont vécus. Il en est de même pour la plaignante décédée en 2023.
« Nous tenons à souligner que les plaignant·e·s privé·e·s sont des personnalités extrêmement fortes et intègres qui n’ont pas peur de défendre les droits démocratiques, même sous la torture. Ils n’ont pas besoin d’accuser faussement Ousman Sonko, ce qui témoigne de la crédibilité de leurs déclarations. Pour toutes les victimes qui connaissent bien le régime de Jammeh, il n’y a pas l’ombre d’un doute que l’accusé était en partie responsable des événements allégués en 2016. Par conséquent, c’était en partie une épreuve pour les plaignant·e·s de devoir écouter l’accusé, qui s’est comporté comme s’il n’avait rien à voir avec les événements. » |
Arguments sur les éléments contextuels et sur les crimes spécifiques en question
Après avoir rappelé les critères juridiques permettant de qualifier une « attaque contre la population civile » (voir les highlights précédents), il a été soutenu qu’il n’était pas juridiquement nécessaire qu’une telle attaque fasse partie d’une politique formelle explicite. En effet, comme cela a déjà été dit, l’existence d’une telle politique peut très bien être implicite.
Le dossier a permis de conclure que les attaques contre la population ont commencé au plus tard en 2000 et se sont poursuivies jusqu’en 2016, s’étendant à toutes les régions de la Gambie et touchant un grand nombre de personnes, tant civiles que militaires (considérées comme des civils en temps de paix). Le 14 avril 2026, 26 à 29 personnes ont été arrêtées, et le 16 avril 2016, 19 personnes ont été arrêtées. L’attaque doit donc être considérée comme généralisée.
Il convient également de noter que l’attaque est devenue plus sophistiquée au fil des ans, la police gambienne – en particulier la PIU – jouant un rôle essentiel et indispensable dans la machinerie bien huilée de la répression.
En effet, le fait que la police et les forces spéciales de la PIU, ainsi que les prisons, aient coopéré avec la NIA a été un élément central de la répression du régime de Jammeh. Il était également notoire que les personnes détenues à la NIA étaient torturées, et le fait que des militant·e·s de l’opposition, des journalistes et d’autres personnes perçues comme des opposant·e·s au régime disparaissent pendant des mois faisait partie intégrante de la répression, en particulier à la prison Mile 2, où ils étaient largement ou complètement isolés du monde extérieur et détenus au secret dans des conditions inhumaines. Le pouvoir judiciaire faisait également partie du système, ce qui a été particulièrement mis en évidence dans les conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation. L’attaque doit donc être considérée comme systématique.
Arguments relatifs aux infractions individuelles
Bien que l’accusé ait nié sa responsabilité pénale pour tous les crimes qui ont eu lieu le 14 avril 2016, il n’a pas nié que les plaignant·e·s ont été victimes de torture et que l’un d’entre eux est décédé à la suite de ces actes. Néanmoins, il a cru pouvoir se soustraire à sa responsabilité en arguant que les arrestations étaient légales car la manifestation n’était pas autorisée et que la responsabilité des tortures incombait uniquement à la NIA. Mais ces arguments sont faibles, d’autant plus que l’interdiction de la torture s’applique également lorsque les personnes détenues avec l’accusé sont remises à des tortionnaires (ce que l’on appelle l’externalisation de la torture à des tiers), ce qui a été le cas le 14 avril 2016 avec l’implication d’Ousman Sonko.
La privation de liberté subie par les parties plaignant·e·s après leur arrestation, tant à la NIA qu’à Mile 2, a violé les règles les plus élémentaires du droit international, ainsi que les règles de procédure gambiennes. De plus, les plaignant·e·s n’ont été traduit·e·s devant un tribunal qu’en mai 2016, bien au-delà des trois jours autorisés par la loi, ont été gravement blessés, et l’audience du tribunal a clairement violé les règles fondamentales du droit international, puisque les déclarations des plaignant·e·s utilisées par le tribunal ont été prises à la NIA dans le contexte ou sous l’impression de torture – un élément confirmé par les enquêtes de la TRRC – ce qui est interdit par le droit international.
« Le verdict de ce « procès en détention » n’existe pas. Malgré les demandes répétées d’assistance juridique de la part des autorités gambiennes, le verdict n’a jamais été obtenu. Ce seul fait jette un doute sur l’état de droit de la procédure à l’époque. » |
En ce qui concerne les conditions inhumaines dans lesquelles les parties plaignantes ont été maintenues pendant leur détention – assimilables à de la torture en tant que crime contre l’humanité – il a été rappelé qu’elles ont tous été détenues en tant que prisonnier·e·s politiques, sans accès à leurs familles ou à leurs avocat·e·s, sans traitement médical sérieux et avec des difficultés d’accès à la nourriture. Ces conditions de détention ont massivement prolongé leurs souffrances causées par la torture et exacerbées par le manque de traitements essentiels, et les plaignant·e·s n’ont été libérés que plusieurs mois après leur arrestation, une fois que Yahya Jammeh a perdu les élections.
« Les conditions particulières de détention vécues par nos client·e·s dans les prisons de Mile 2 et de Janjahbureh doivent être considérées comme faisant partie intégrante du régime de torture. En particulier, les conditions d’isolement sans accès aux proches – qui, comme nous l’avons entendu dire par l’accusé lui-même, auraient été essentiels pour l’approvisionnement en nourriture en prison – sans accès à des avocat·e·s, sans accès à des soins médicaux indispensables, faisaient partie d’un système conçu pour dissimuler la torture et pour intimider les critiques du gouvernement. » |
L’accusé ne pouvait pas se soustraire à sa responsabilité à cet égard en disant qu’il avait fait ce qu’il pouvait pour améliorer les conditions de détention, car les parties plaignantes n’étaient tout simplement pas détenues dans des conditions normales de prison, mais étaient particulièrement maltraitées, notamment en raison de leur statut : elles étaient des critiques du gouvernement et avaient osé s’exprimer contre Yahya Jammeh et sa dictature.
Ousman Sonko avait une connaissance claire du contexte dans lequel les crimes ont été commis en avril 2016 et il a également été prouvé qu’il avait l’intention requise de commettre des actes de torture, des meurtres, de priver les plaignant·e·s de leur liberté et de les soumettre à des conditions difficiles.
« Le nombre de rapports faisant état d’actes de torture et de graves violations des droits humains au fil des ans en Gambie en dit long. L’accusé devrait littéralement vivre derrière la lune pour ne pas savoir que sous Yahya Jammeh, il y avait un régime répressif en Gambie. Il est tout simplement absurde que l’ancien Ministre de l’intérieur de ce pays, qui, rappelons-le, a occupé ce poste pendant une dizaine d’années – ce dont il semble être fier à ce jour – et qui, avant cela, était également un haut fonctionnaire de la Police et de la Garde nationale, prétende qu’il n’était pas au courant de la répression systématique et généralisée qui sévissait dans son propre pays. Lui qui était en charge de services centraux tels que la police et les prisons, qui ont été critiqués de toutes parts au fil des ans. » |
Ces crimes doivent être qualifiés d’aggravés compte tenu de la brutalité des actes de torture commis – parfois combinés à des violences sexuelles et à l’utilisation de divers objets pour frapper les victimes – qui ont conduit à la mort d’une personne, dont les causes ont été dissimulées, et compte tenu du caractère impitoyable du régime répressif de Jammeh.
Arguments sur les modes de responsabilité
Le rôle de l’accusé en tant que co-auteur dans la commission des infractions en question a été discuté.
En particulier, il a été rappelé qu’Ousman Sonko avait occupé une position élevée pendant de nombreuses années et qu’il était très influent en 2016. Il était à la tête de la Police, de la PIU et des services pénitentiaires, dont les responsables lui rendaient directement compte et étaient liés par ses instructions. L’accusé était un proche collaborateur et confident de Yayha Jammeh, ainsi qu’un fidèle serviteur du système. Il avait lui-même commis des atrocités, du moins au début de sa carrière, et les avait ensuite déléguées ou facilitées, aidant même à dissimuler les crimes. Il a également été souligné que la torture sous Jammeh avait toujours été pratiquée en étroite coopération et coordination entre la police, les prisons et les Junglers ou la NIA. Ousman Sonko lui-même était en contact étroit avec la NIA, comme s’il avait été un acteur central de la coopération entre les différentes forces. En effet, comme l’a souligné l’enquête, l’accusé a contribué de manière décisive à la mise en place, au développement et à la survie du régime répressif gambien.
Ces éléments contredisent les affirmations d’Ousman Sonko selon lesquelles il n’avait qu’un rôle décoratif à la tête du Ministère de l’Intérieur, qui ne sont pas crédibles et soulignent une fois de plus les incohérences de son témoignage concernant son rôle opérationnel en tant que Ministre.
En ce qui concerne le 14 avril 2016, les preuves disponibles ont établi qu’Ousman Sonko était présent à la PIU le jour exact des événements, mais surtout qu’il avait donné des instructions spécifiques – ou au moins générales – pour que les parties plaignantes soient emmenées au siège de la NIA, respectivement à la prison Mile 2 et de là au siège de la NIA. Il l’avait fait en sachant que les personnes appréhendées par la NIA étaient régulièrement soumises à de graves violences et à la torture. Cependant, il n’est pas décisif de savoir si l’accusé avait ou non autorité sur la NIA, le seul point pertinent est que ce sont ses officiers subordonnés de la PIU et de Mile 2 qui ont remis les plaignant·e·s à la NIA, où i·el·ls ont ensuite été torturé·e·s et tué·e·s, ou maintenu·e·s en détention.
Sur le plan juridique, ce comportement était conforme à la jurisprudence et à la littérature applicables au co-auteur.
En outre, il a été soutenu que si la version de l’accusé – selon laquelle il ne savait rien le jour des événements, mais avait été informé qu’une manifestation violente avait lieu et n’avait rien fait à ce moment-là, alors que deux jours plus tard il s’était précipité au bureau de la PIU parce qu’il craignait qu’une autre manifestation ait lieu – était acceptée par le tribunal, un tel comportement passif devrait également entraîner sa responsabilité pénale, puisqu’il était le seul responsable.
Subsidiairement – et finalement – il a été soutenu que sa responsabilité pénale pouvait découler de sa position de supérieur hiérarchique.
À l’appui de cet argument, il a été expliqué qu’en tant que Ministre de l’intérieur, il devait être considéré comme un « responsable au sein de l’administration », que le transfert des détenu·e·s à la NIA avait été effectué par ses « subordonné·e·s » et qu’il existait une relation directe, juridique et factuelle, de supérieur à subordonné entre les policiers/agents pénitentiaires et l’accusé. Il a également été soutenu que ses subordonné·e·s avaient remis les détenu·e·s à la NIA en sachant pertinemment que des tortures brutales étaient régulièrement pratiquées. De même, la détention illégale qui s’en est suivie a été assurée par le personnel pénitentiaire subordonné de l’accusé, tant à Mile 2 qu’à Janjahbureh, sur lequel il exerçait un contrôle effectif. En ce sens, il ressort clairement du dossier qu’Ousman Sonko n’est pas intervenu pour mettre fin aux actes illégaux commis par ses subordonné·e·s (prévention – a priori du crime), ni n’a pris aucune mesure pour punir les personnes impliquées (poursuite ou sanction administrative – a posteriori), alors qu’il était lui-même au courant non seulement de l’attaque contre la population civile, mais aussi du fait que la NIA était une agence de torture et que les parties plaignantes étaient privées de leur liberté.
Le mot de la fin a été adressé aux parties plaignantes, qui ont été décrites par leur avocate comme des personnes incroyablement courageuses et résistantes – tant au moment où elles ont subi ces crimes horribles que tout au long de la procédure en Suisse.
Les représentantes des parties plaignantes ont conclu qu’Ousman Sonko devait être reconnu coupable, sanctionné de manière appropriée et qu’il devait payer des réparations aux plaignant·e·s, en guise de compensation pour le préjudice subi. |
À suivre : Les plaidoiries de la défense.
L’avocate a généralement soutenu les conclusions du procureur en faveur de la condamnation d’Ousman Sonko pour crimes contre l’humanité.
Arguments sur les éléments contextuels des crimes contre l’humanité
L’avocate des plaignant·e·s a réitéré que la politique de répression violente de toute opposition par le régime de Jammeh était mise en œuvre par toutes les forces de sécurité, que la coordination entre elles était convenue au plus haut niveau de l’État, et que la mise en place de panels pour » enquêter » sur les tentatives de coup d’État était un système commun pour attaquer, intimider et réduire au silence la population civile au sens le plus large du terme.
Appréciation des preuves
Tout d’abord, il a été noté que les témoignages des plaignant·e·s se caractérisaient par leur cohérence, leur clarté et leur absence de contradictions. Deuxièmement, leurs déclarations libres devant la Cour étaient éloquentes et convaincantes. La cohérence interne des déclarations a montré qu’il y avait un modus operandi identique et bien répété qui a été exécuté à plusieurs reprises. Leur témoignage a été corroboré par d’autres preuves matérielles figurant dans le dossier.
En ce qui concerne les trois témoins interrogés au cours de l’enquête – qui faisaient partie du panel représentant la NIA et de la Garde d’État, et dont certains étaient des membres de haut rang – il faut tenir compte, dans l’évaluation de leur crédibilité, du fait qu’ils ont pu craindre de s’incriminer eux-mêmes. En effet, l’un des témoins est resté très évasif, un autre s’est incriminé lui-même – et a donc largement confirmé les déclarations des plaignant·e·s – et devrait donc se voir accorder plus de crédibilité. Enfin, le troisième témoin est resté ambivalent, donnant beaucoup de détails mais restant évasif sur d’autres aspects, notamment sur son propre rôle.
En tout état de cause, les trois témoins ont confirmé que le panel était composé de toutes les forces de sécurité et qu’Ousman Sonko, en tant qu’IGP, était présent à plusieurs reprises aux réunions du panel.
Quant au travail du TRRC – que la défense n’a utilisé qu’à son avantage – il s’agissait d’une preuve utile à la Cour pour former sa conviction interne, d’autant plus que l’ensemble de la procédure s’est déroulée en public.
Il a également été soutenu que l’accusé continuait à se dérober, à se contredire et à faire des déclarations manifestement fausses, ainsi qu’à faire un usage sélectif de ses droits.
« Ousman Sonko est manifestement un homme très intelligent, un excellent politicien qui peut répondre à des questions sans donner de réponses. Mais on reste toujours quelque peu insatisfait en l’écoutant. Il ne présente pas de faits alternatifs cohérents et compréhensibles qui permettraient au juge d’évaluer les preuves différemment.” |
Dans l’ensemble, les informations fournies par l’accusé n’étaient ni cohérentes ni homogènes en elles-mêmes, ni cohérentes avec les autres dossiers, les interrogatoires, le dossier d’assistance juridique gambien ou la procédure devant la TRRC. Enfin, elles ne correspondaient pas à l’expérience de la vie courante ni à une quelconque logique.
Argumentaire sur chaque chef d’accusation
En substance, les éléments de preuve figurant dans le dossier ont montré – et donc prouvé – que les 21, 24 et 28 mars 2006, trois requérant·e·s ont été arrêté·e·s pour leur participation présumée à une tentative de coup d’État le 21 mars 2006.
Ces personnes ont tous été emmenées à Mile 2 et au siège de la NIA sans mandat et sans avoir vu un·e juge. Leur détention a duré jusqu’au 19 avril 2006 pour deux d’entre e·lle·ux et 4 semaines pour la troisième victime, qui a été arrêtée et détenue à nouveau pendant plusieurs semaines en octobre de la même année. Ces détentions étaient illégales au regard du droit gambien et donc arbitraires et contraires au droit international. Elles ont été détenues dans des conditions épouvantables.
De plus, toutes les trois ont été victimes de diverses formes de torture qui, selon la Procureure, devraient être jugées à la lumière de l’infraction aggravée de crimes contre l’humanité.
Modes de responsabilité
Il a été soutenu qu’Ousman Sonko devait être reconnu comme complice dans la commission des crimes en question parce qu’il a joué un rôle décisif dans la décision commune de commettre l’infraction, ainsi que dans l’exécution coordonnée commune des crimes et parce qu’il a contribué conjointement à leur commission.
En effet, l’accusé était un homme puissant au sein du système répressif en place, en tant qu’IGP. Il avait en fait soutenu la mise en œuvre de la politique d’attaques du régime de Jammeh contre la population civile et occupé trois des postes les plus importants au sein de l’appareil, où le Président Jammeh ne nommait que des personnes en qui il avait pleinement confiance. Plusieurs témoignages – ainsi que les preuves matérielles disponibles – ont confirmé cette relation particulièrement étroite qui existait entre l’accusé et l’ancien président. En outre, il a été noté que l’accusé a été nommé Ministre de l’intérieur peu de temps après s’être occupé de la tentative de coup d’État du mois de mars au profit du président.
En outre, en tant qu’IGP, Ousman Sonko était au centre des forces de sécurité gambiennes – qui collaboraient à tous les niveaux – et, par conséquent, au centre de l’appareil répressif :
« Toutes les forces de sécurité ont travaillé ensemble pour maintenir le régime de Jammeh au pouvoir en supprimant toutes les voix dissidentes. Cela s’est fait par la détention arbitraire, la torture et le meurtre des opposant·e·s au régime. L’accusé a contribué de manière significative à la mise en place du régime répressif gambien dirigé contre la population civile, dans le but de maintenir ce régime au pouvoir. » |
Il a en outre été soutenu que l’accusé ne pouvait se soustraire à ses responsabilités en prétendant qu’il n’avait aucun contrôle de jure ou de facto sur la NIA ou les Junglers, d’autant plus que la coopération stratégique et opérationnelle de toutes les forces de sécurité visait à maintenir Yahya Jammeh au pouvoir.
En ce qui concerne les événements spécifiques de mars 2006, il a été rappelé qu’Ousman Sonko a été immédiatement informé par le Chef de l’armée de la tentative de coup d’État et que, compte tenu de sa position officielle et de son statut de confident le plus proche de Jammeh, il était responsable de la réponse de l’État à cette menace sérieuse au régime.
Il a été établi – en particulier à travers les déclarations des plaignant·e·s et de plusieurs témoins – qu’Ousman Sonko faisait effectivement partie du Panel mis en place pour enquêter sur le coup d’État et qu’il comprenait toutes les forces de sécurité gambiennes, y compris la Garde d’État et les Junglers. Il a même confirmé qu’il avait dû nommer les membres policiers du groupe. En ce qui concerne la supervision du groupe, il a été prouvé qu’en tant qu’IGP, il était l’un des trois responsables et que les décisions étaient prises en collaboration avec eux. En outre, il a été établi, sur la base des déclarations figurant dans le dossier, que l’accusé était présent lorsque les plaignant·e·s ont été libéré·e·s.
En vue de ce qui précède, la déclaration d’Ousman Sonko selon laquelle il ne connaissait pratiquement personne au sein du Panel était totalement invraisemblable et devait être rejetée comme une tentative de sa part de se soustraire à sa responsabilité. De même, les déclarations de l’accusé – qui ont considérablement varié au cours de l’enquête – selon lesquelles il n’avait été présent qu’une heure le premier soir de l’interrogatoire du Panel, qu’il n’avait été témoin d’aucun acte de violence et qu’il n’avait vu aucun homme armé, en particulier aucun Jungler, doivent être considérées comme totalement indignes de confiance. Elles ont d’ailleurs été contredites par tout·e·s les plaignant·e·s et témoins entendu·e·s dans le cadre de la présente procédure.
Globalement, le prévenu n’a pas non plus réussi à rendre crédible un récit alternatif dans lequel sa responsabilité pénale ne serait pas en jeu.
“Sans l’autorité policière et ses pouvoirs, le Panel n’aurait pas pu fonctionner, la population civile n’aurait pas été attaquée et les crimes n’auraient pas été commis. En tant que chef du groupe, Ousman Sonko a décidé des arrestations, des détentions, des interrogatoires, des tortures et même des viols et de la libération des suspect·e·s. Ces décisions ont été prises en coopération et en collaboration avec toutes les forces de sécurité. En vertu de sa position de pouvoir en tant qu’IGP, en tant que proche confident du Président, en tant que superviseur du Panel et en tant que supérieur des officiers de police qui en faisaient partie, il avait le genre de contrôle sur l’ensemble du processus que seul un complice peut avoir.” |
Il a ensuite été soutenu qu’Ousman Sonko avait agi en connaissance de cause et avec l’intention de commettre tous les crimes dont il est accusé. Il savait notamment que la torture, y compris les violences sexuelles, était illégale en vertu du droit gambien et du droit international, et qu’il connaissait la manière dont le régime traitait ses détracteurs. Il connaissait également les Junglers impliqués dans les événements (tant leur existence en tant que groupe que les individus au sein de ce groupe et les exactions pour lesquelles ils étaient connus).
Toute déclaration contraire faite par l’accusé ne peut être crue, car elle est manifestement faite dans le but de se soustraire à toute responsabilité.
La représentante légale des plaignant·e·s a conclu qu’Ousman Sonko devait être reconnu coupable, sanctionné comme il se doit et que des réparations devaient être allouées aux trois parties plaignant·e·s, en compensation du préjudice subi. |
À suivre : Plaidoiries finales sur les événements du 14 avril 2016.
Partie 3 : Le verdict
Après avoir plaidé la responsabilité d’Ousman Sonko pour chacun des chefs d’accusation, la Procureure a abordé la question de la peine.
Selon le droit suisse : La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures. (Art. 47 al. 2 SCC) En outre, les antécédents et la situation personnelle de l’auteur ainsi que l’effet de la peine sur son avenir doivent être pris en compte. |
La Procureure a requis l’emprisonnement à vie en raison de la grave culpabilité d’Ousman Sonko qui, selon les conclusions de l’enquête, a participé à de multiples chefs d’accusation graves de crimes contre l’humanité.
En examinant les circonstances aggravantes applicables à l’accusé, la Procureure a déclaré que, bien que certaines d’entre elles auraient pu être appliquées (voir l’encadré ci-dessous), elles n’augmentaient pas de facto la peine maximale prévue par la loi.
Exemples de circonstances aggravantes mentionnées par la Procureure : Comportement au cours de l’enquête « Le comportement de l’accusé dans la présente procédure n’a été que superficiellement coopératif. Alors qu’au début de la procédure il était disposé à fournir des informations détaillées sur des questions générales concernant le système et sur des questions relatives à sa carrière et à ses performances, au fur et à mesure que la procédure avançait, il a éludé des questions spécifiques, les a qualifiées d’hypothétiques, a fait des déclarations vagues ou a refusé de témoigner – comme c’est son droit. (…) Son comportement délibérément perturbateur au cours de l’enquête ne peut plus être évalué de manière neutre en raison de son étendue, de sa durée et de son intensité, mais doit être considéré sous un angle quelque peu différent. » Confession, lucidité, remords « L’accusé continue de nier toutes les accusations et n’a pas avoué. En outre, il n’a fait preuve ni de compréhension ni de remords. Une réduction de la peine est donc hors de question. La non-coopération, l’absence de remords, l’absence de compréhension et l’absence d’aveux ont donc un effet neutre sur la peine. » |
Quant à la circonstance atténuante liée à la durée du procès, elle doit être rejetée.
Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de la culpabilité de l’accusé pour les crimes commis, l’emprisonnement à vie est considéré comme une peine globale appropriée.
Selon la Procureure, une telle peine devrait également être considérée comme justifiée au regard de la jurisprudence internationale. En effet, en décembre 2023, Bai L., qui a été impliqué en tant que chauffeur dans divers crimes contre l’humanité, a été condamné à la prison à vie en Allemagne. La participation d’Ousman Sonko aux crimes et sa culpabilité doivent être pesées beaucoup plus lourdement dans cette affaire.
Enfin, la Procureure a notamment demandé que Ousman Sonko soit expulsé du territoire suisse pour une durée maximale de 15 ans, que la Cour décide de la répartition des avoirs confisqués, que divers objets saisis au cours de l’enquête soient restitués à Ousman Sonko ou aux personnes à qui ils appartiennent, et que la Cour statue sur les conclusions civiles à formuler par les plaignant·e·s.
À suivre : Les plaidoiries de l’avocate des victimes des événements de 2000.
L’avocate des parties plaignantes a commencé sa plaidoirie en soutenant de manière générale les arguments de la Procureure en faveur de la condamnation d’Ousman Sonko pour crimes contre l’humanité, en particulier en faveur de ses client·e·s qui ont été victimes d’atrocités en 2000 et en 2006.
Plaidoyer sur les éléments contextuels des crimes contre l’humanité
L’argumentation a commencé par un rappel du contexte gambien, avec un accent particulier sur les années 2000 à 2006.
« Entre 1994 et fin 2016, toute personne qui s’opposait, voulait s’opposer ou était même soupçonnée de s’opposer au régime, risquait d’être arrêtée arbitrairement, torturée ou soumise à d’autres formes de mauvais traitements. Risquait d’être soumise à des violences sexuelles, de disparaître, d’être exécuté de manière extrajudiciaire ou assassiné. Sous Jammeh, une construction d’agences de sécurité imbriquées les unes dans les autres avait été mis en place, aboutissant à un système « d’exercice conjoint du pouvoir. » |
Il ne fait aucun doute que les agences de sécurité de l’appareil d’État gambien travaillaient ensemble de manière bien coordonnée et que Yahya Jammeh n’agissait pas seul. Au cours de l’enquête, Ousman Sonko a même déclaré que le Conseil national de sécurité se réunissait chaque semaine pour discuter des questions de sécurité nationale et qu’il avait participé à ces réunions à la fois en tant qu’Inspecteur général de la police (IGP) et en tant que Ministre de l’intérieur. Les crimes brutaux commis au nom de l’État se sont déroulés dans un climat d’impunité absolue, et les auteur·e·s n’ont pas eu à répondre de leurs actes, mais ont été récompensé·e·s par des promotions et des faveurs : l’accusé a bénéficié du système et a été promu.
Il a également été souligné que le régime a commis de nombreuses violations au fil des ans, ce qui permet de conclure que la population civile était attaquée. La répression violente d’un rassemblement d’étudiant·e·s en avril 2000, la tentative d’assassinat d’un avocat critique du régime en décembre 2003, le meurtre du rédacteur en chef de The Point en décembre 2004 et l’assassinat de plus de 50 migrant·e·s d’Afrique de l’Ouest en juillet 2005 ont été cités comme exemples.
Dans ce cas, la nature générale et systématique de l’attaque susmentionnée a été bien établie. Cependant, afin de renforcer le caractère général de l’attaque, il a été souligné que la société gambienne est fortement interconnectée en raison de la petite taille du pays, mais aussi en raison du système de la famille élargie et, au-delà, de l’environnement social gambien. Cela permet de conclure que, outre le nombre de victimes, les éléments temporels et géographiques qui appuient le caractère général de l’attaque, chaque crime individuel a entraîné un plus grand nombre de personnes touchées en raison de la structure sociale gambienne.
En ce qui concerne la nature systématique des attaques, il a également été souligné – en plus des arguments de la Procureure – que la coopération entre les différents services était ancrée dans la structure de la dictature depuis le début : dès 1997, la PIU et la NIA ont été impliquées dans la répression violente des membres de l’UDP, ce qui a conduit à des arrestations et à des actes de torture.
Les attaques ont également visé certaines catégories de personnes, comme les journalistes et, plus généralement, les médias, dès les premières années du régime, ce qui a également été mis en évidence dans les conclusions de la TRRC. Il est également important de noter que les journalistes des journaux gouvernementaux n’ont pas été épargnés : la persécution des journalistes du Daily Observer a été évidente tout au long des années, par exemple en 2001 et en 2006.
Il est donc clair que les journalistes arrêtés et torturés en mars 2006 ont été ciblés par le régime en raison de leur travail et de leur couverture de la tentative de coup d’État.
« En examinant ces témoignages et le dossier en général, il est clairement apparu que, contrairement aux affirmations de l’accusé, la suppression de la presse par la persécution ciblée de journalistes critiques et d’organes de presse faisait partie intégrante de la logique du régime depuis le début. (…). Par conséquent, les tentatives de l’accusé de présenter la presse en Gambie comme prétendument libre tombent à plat. » |
En ce qui concerne la connaissance par Ousman Sonko des attaques systématiques et généralisées susmentionnées contre la population civile gambienne, il a été souligné que, bien qu’il ait prétendu n’avoir appris les crimes du régime de Jammeh que par l’intermédiaire de la Commission Vérité et Réconciliation ou de la présente procédure, il ressort clairement du dossier et des témoignages entendus par la Cour que l’accusé faisait partie du cercle restreint du pouvoir autour de l’ancien Président, du début jusqu’à la fin ou presque. Comme l’a souligné la Procureure, l’accusé a participé au coup d’État de Jammeh en 1994 et a rejoint la Garde d’État en 1995. Il a ensuite gravi progressivement les échelons au sein de l’appareil, devenant IGP sans aucune formation ni expérience policière, et atteignant finalement le poste de Ministre de l’intérieur.
« Devant le tribunal, l’accusé s’est montré comme un homme qui – malgré les connaissances qu’il ne peut plus nier après les conclusions de la TRRC et la présente procédure – soutient encore aujourd’hui les politiques répressives du collectif d’auteurs de l’État. Si l’accusé aujourd’hui, connaissant l’étendue de la brutalité du régime, justifie encore ses politiques, j’en conclus qu’il était également d’accord avec elles au moment des infractions présumées. » |
Compte tenu des fonctions militaires et centrales qu’il a occupées de 1995 à 2016, l’accusé ne peut pas prétendre de manière crédible qu’il n’était pas au courant des violations flagrantes des droits humains et des nombreux crimes qui ont été commis. L’accusé n’a pas pu occuper des postes clés pendant des années sans être au courant de ces attaques.
En effet, il ne fait aucun doute que l’accusé était au courant de la politique de persécution systématique des critiques réel·e·s ou supposé·e·s du régime dans le cadre de ses fonctions respectives, que ce soit dans l’armée, en tant qu’IGP ou en tant que Ministre de l’intérieur. En septembre 2016, il a quitté le pays dès que possible après être tombé en disgrâce auprès de Jammeh, sachant pertinemment ce qui l’attendait dans cette situation : détention arbitraire, torture, disparition et/ou mort.
Arguments sur les accusations individuelles
En ce qui concerne le meurtre d’un membre de la Garde d’État en janvier 2000, l’avocate est revenue sur le témoignage des différents témoins, ainsi que sur le témoignage de la veuve du défunt – qui est partie civile dans l’affaire – et les a comparé au témoignage de l’accusé sur ces événements.
En résumé, il a été soutenu que les témoins – un ancien membre du State House Battalion et un ancien Jungler – ont fourni des informations crédibles sur la planification ainsi que sur l’opération qui a conduit à l’assassinat et dans lequel l’accusé était impliqué. La plaignante, pour sa part, a fourni des informations crédibles qui étaient également cohérentes avec les dépositions des témoins. Il a été ajouté que la plaignante a commenté de manière très détaillée et cohérente les événements dont elle se souvenait le jour où son mari a été attiré dans une embuscade.
De son côté, Ousman Sonko a exercé de manière sélective son droit de garder le silence sur ces accusations, ce qui n’a pas été à son avantage. Bien qu’il ait déclaré au tribunal qu’il ne pouvait pas faire de commentaires en raison d’un devoir de confidentialité, il a fait quelques déclarations isolées au cours de l’enquête. Il a notamment déclaré que la plaignante se trompait lorsqu’elle affirmait qu’il avait pris la place de la victime après son décès.
Il a également été souligné qu’Ousman Sonko avait été identifié par le TRRC comme faisant partie d’un collectif d’auteurs responsables de ce meurtre.
Au moment du crime, l’accusé était déjà dans l’armée depuis 12 ans et servait dans la Garde d’État depuis 1995. Il faisait partie de la même unité que la victime. Il savait ce qu’il avait à faire pour prendre sa place aux côtés du Président, et tous les moyens étaient bons pour lui. Le meurtre faisait partie d’une liste de violations systématiques qui existaient déjà au moment de l’infraction, ce qui signifie que le crime a été commis dans le cadre de l’attaque contre la population civile qui a eu lieu, et qu’aucun motif de justification ou d’exclusion de la culpabilité n’est apparent ou n’a été soulevé à ce jour.
Comme le demandait la Procureure, il a été conclu qu’Ousman Sonko devait être condamné pour meurtre aggravé en tant que crime contre l’humanité, compte tenu de l’atrocité des actes en question.
En ce qui concerne les accusations de violences sexuelles, qu’Ousman Sonko est accusé d’avoir commises à plusieurs reprises à l’encontre de la veuve du défunt, le déroulement des faits a été reconstitué sur la base des déclarations crédibles et concordantes de la plaignante. Selon ses déclarations, très peu de temps après l’assassinat de son mari, elle a perdu son emploi, ses enfants n’ont plus été autorisés à s’inscrire à l’école sur ordre du Ministre de l’éducation, et l’accusé a commencé à la « rechercher », même pendant la période de deuil. Il s’en est suivi une « phase intensive » d’abus sexuels et de menaces pendant de nombreux mois. Les agressions sexuelles se sont poursuivies de la mi/fin 2000 jusqu’à la fin 2001/début 2002, où elles ont à nouveau augmenté. De graves violences se sont à nouveau produites en janvier 2005, lorsque l’accusé est rentré en Gambie pour un court séjour.
« Je ne serais pas ici si ma cliente ne tenait pas à une chose : la justice. La justice après toutes ces années. Pour le meurtre de son mari. Pour ce qui lui a été fait. Pour ce que sa famille, en particulier ses enfants, a dû endurer à la suite des actes de l’accusé ». |
Bien qu’il n’ait jamais répondu en détail à ces accusations, Ousman Sonko a déclaré qu’il n’était pas dans le pays au moment des crimes. Or, les éléments du dossier montrent qu’il n’a été absent que deux fois, à chaque fois pour une semaine, ce qui rend ces absences insignifiantes et d’une durée négligeable, et donc non convaincantes.
Les événements subis par la plaignante devraient conduire la Cour à déclarer Ousman Sonko coupable de privation de liberté aggravée, de torture aggravée et de violation aggravée de l’autodétermination sexuelle par le viol en tant que crimes contre l’humanité, en soulignant qu’il a agi dans l’intention spécifique de la punir ou de la posséder en tant que veuve de son opposant éliminé. Par conséquent, les violences sexuelles perpétrées par l’accusé peuvent également être incluses dans le concept de torture.
« Il voulait l’intimider et lui interdire de parler à qui que ce soit de ce qui se passait. Il voulait des informations, lui demandant si elle avait parlé à quelqu’un, si elle avait demandé l’asile aux États-Unis. Il voulait l’humilier. Il voulait la dominer. Il voulait la détruire. Dans ce cas, Ousman Sonko avait sans aucun doute un but précis pour ses actions ». |
Selon les éléments de preuve disponibles dans le dossier, Ousman Sonko avait une réputation de « coureur de jupons », qu’il faut comprendre comme « un homme qui prend ce qu’il veut », et il ressort clairement du dossier qu’il a agi dans l’exercice de ses fonctions ou du moins en utilisant son pouvoir ou les ressources dont il disposait en vertu de sa position. Il est également clair que la plaignante n’était pas une victime accidentelle, mais qu’elle avait été spécifiquement ciblée.
Pour ces raisons, les actes en question ne doivent pas être considérés comme des actes personnels ou isolés, mais comme ayant eu lieu dans le contexte de la violence sexuelle généralisée à l’encontre des femmes sous le régime de Jammeh.
« La violence sexuelle a été utilisée en Gambie comme moyen de répression politique ciblé contre les dissident·e·s ou les personnes accusées d’avoir des liens avec une position dissidente. Cette pratique a explicitement touché des personnes de tous les sexes. La violence sexualisée vise le plus profond d’une personne et a le potentiel – souvent utilisé délibérément pendant des dictatures ou des guerres – de détruire des individus et des communautés entières, peut-être pas physiquement, mais psychologiquement. L’utilisation systématique de la violence sexualisée a fait partie de l’assaut contre les civils en Gambie de 1994 jusqu’à la fin de 2016. » |
En ce qui concerne les allégations de torture et de privation de liberté formulées à l’encontre de deux journalistes – plaignants privés – en mars 2006, il a été rappelé que tous deux avaient donné des récits crédibles des événements qu’ils avaient vécus, avec des détails pertinents et précis. Leur témoignage a été corroboré par plusieurs pièces à conviction et des articles de journaux.
Bien que l’accusé n’ait pas contesté le témoignage des deux victimes, il a nié toute connaissance ou implication dans ces événements. Il a notamment affirmé que son adjoint – en coordination avec d’autres personnes de haut rang – avait été responsable du déploiement de la police après la tentative de coup d’État de mars 2006. Il a également nié toute responsabilité en tant que membre du comité d’enquête devant la Procureure, bien que ses déclarations à cet égard soient devenues plus vagues devant la Cour.
« Les déclarations de l’accusé au tribunal concernant les accusations portées contre mes client·e·s ont été caractérisées par son habituelle dérobade et ses esquives constantes : Soit Ousman Sonko n’avait pas vu de violations de la loi, soit il ne s’en souvenait pas, soit les services qu’il contrôlait n’étaient pas impliqués et il n’était donc pas responsable. » |
Les événements vécus par les plaignants en tant que journalistes en mars 2006 devraient conduire la Cour à déclarer Ousman Sonko coupable de privation de liberté aggravée et de torture aggravée, ainsi que de violation aggravée de l’autodétermination sexuelle, en tant que crimes contre l’humanité.
Il a été souligné que les chocs électriques infligés aux parties génitales de l’un des plaignants devraient être reconnus comme une forme de torture par la violence sexuelle. Afin de refléter pleinement l’injustice de cet aspect sexué de la torture, les faits de l’affaire ont dû être explicitement évalués sous cet angle. Au moment où le plaignant a été soumis à la violence sexiste, il se trouvait dans un état d’absence totale de défense. Il était incarcéré et donc complètement limité dans sa liberté de mouvement et à la merci de ses tortionnaires.
L’avocate des parties plaignantes a conclu qu’Ousman Sonko devait être reconnu coupable, qu’il devait être puni de manière appropriée et que des réparations devaient être accordées aux trois parties plaignantes en guise de compensation pour le préjudice subi. |
À suivre : Les conclusions de l’avocate des autres victimes des événements de 2006.
Parie 2: Les accusations
Après avoir décrit le contexte gambien et la connaissance qu’avait Ousman Sonko des attaques généralisées et systématiques contre la population civile depuis les premières années de la présidence de Yahya Jammeh, la Procureure s’est adressé à la Cour sur la responsabilité pénale de l’accusé pour les différents crimes spécifiques qui lui sont reprochés.
Meurtre d’un ancien membre de la garde d’État en janvier 2000
À la mi-janvier 2000, dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile, Ousman Sonko, alors capitaine de la Garde d’État, aurait attiré un ancien membre de la Garde d’État dans une embuscade sur la Bund Road et, avec un groupe de soldats sous son commandement, l’aurait tué par traîtrise. |
Malgré sa négation des faits, la Procureure a soutenu qu’il n’y avait aucun doute raisonnable sur le fait qu’Ousman Sonko était présent au moment du crime et que lui et le groupe de soldats qu’il dirigeait ont tiré sur la victime alors qu’elle s’enfuyait.
En effet, après comparaison et évaluation approfondies des différents témoignages recueillis au cours de l’enquête, il est apparu clairement qu’Ousman Sonko avait participé à la planification du crime en enregistrant secrètement une conversation entre lui et la victime le 13 janvier 2000, au cours de laquelle ce dernier discutait de la manière dont lui et d’autres personnes étaient censés préparer un coup d’État. L’enregistrement a ensuite été remis à Jammeh, qui a ordonné l’arrestation de la victime. Le dossier et les conclusions de la TRRC ont montré qu’Ousman Sonko a ensuite été promu directement à la tête de la Garde nationale. D’autres preuves ont montré qu’il a personnellement participé à l’arrestation de la victime sur la Bund Road, après avoir appelé sa cible pour qu’elle le rejoigne à cet endroit. Bien que les faits de l’affaire diffèrent à la lumière des divers témoignages recueillis, la position de la Procureure est que l’accusé et ses hommes ont délibérément tiré par derrière sur la victime, qui n’était pas armée, alors qu’elle tentait d’échapper à l’embuscade dans laquelle elle avait été placée.
« Ousman Sonko a gagné la confiance de la victime, l’a attiré dans une embuscade sous un prétexte, et a utilisé son ‘escadron de la mort’ pour liquider un soldat qui était alors considéré comme un ennemi de l’État. » |
La Procureure a ajouté que les motivations de l’accusé pour agir comme il l’a fait étaient évidentes d’après les différents témoignages recueillis : il était prêt à utiliser tous les moyens pour atteindre son objectif de faire carrière grâce à sa loyauté envers le Président, et la victime était un obstacle à cela.
Compte tenu de ce qui précède, la Procureure a conclu que l’accusé, en tant que commandant de la Garde nationale, dirigeait le groupe de cinq à six soldats qui agissaient sous son commandement et ses ordres. Ousman Sonko faisait partie de ce groupe et a participé activement au meurtre en tirant sur la victime en fuite avec sa propre arme.
Il a ensuite été ajouté que le meurtre susmentionné avait eu lieu dans le cadre de crimes contre l’humanité, car il s’inscrit dans un catalogue « connu » de mesures répressives utilisées par le Gouvernement et est directement lié à la planification d’un coup d’État contre Jammeh. La victime faisait donc partie de la population civile attaquée par le gouvernement.
Compte tenu des circonstances de l’assassinat, et en particulier de la cruauté avec laquelle l’accusé a agi, le crime doit être considéré comme aggravé.
Multiples viols et violences sexuelles commis sur la veuve du garde tué entre 2000 et 2002 ainsi qu’en 2005
Dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile, l’accusé aurait régulièrement torturé, entre 2000 et 2002, la veuve du soldat tué en janvier 2000. Il l’aurait également séquestrée pendant plusieurs jours en janvier 2005 et l’aurait torturée et violée à plusieurs reprises. |
Alors que l’accusé a nié ces allégations, affirmant notamment qu’il n’était pas en Gambie au moment des faits, la Procureure a fait valoir que ses alibis ne résistaient pas à l’analyse des informations contenues dans le dossier et qu’il se trouvait en Gambie pendant la majeure partie de la période où les faits se sont déroulés.
Au contraire, le témoignage de la victime doit être considéré comme globalement crédible, compte tenu du temps écoulé depuis la commission des crimes, du traumatisme subi et du rapport médical évaluant les conséquences physiques des violences subies. En revanche, les déclarations de l’accusé ne peuvent être considérées comme convaincantes :
« Il est évident que l’accusé – comme dans l’ensemble du procès – n’est nullement disposé à assumer la responsabilité de son comportement. Au lieu de cela, il tente d’échapper à ses responsabilités et passe à l’offensive en accusant la victime d’être une menteuse. Un tel comportement en dit long. » |
À la lumière de ce qui précède, la Procureure a conclu que les charges sont suffisamment étayées et qu’il n’existe aucun doute raisonnable sur le fait qu’Ousman Sonko a commis les crimes qui lui sont reprochés.
Il n’a pas commis ces crimes pour sa propre satisfaction, mais dans le contexte de l’attaque contre la population civile. En fait, les viols et autres crimes ont été commis pour protéger l’appareil d’État, d’autant plus qu’Ousman Sonko est apparu à la victime comme un représentant de l’État, en uniforme et avec son arme de service, et non comme un simple particulier. Un autre élément conduisant à cette conclusion est que, pendant les crimes, l’accusé a cherché à contrôler la victime et à réprimer tout comportement de sa part qui pourrait être dirigé contre le régime ou lié à la tentative de coup d’État présumée de son défunt mari et à l’intervention de l’État qui s’en est suivie. La victime et sa famille, qui pleuraient la mort d’un ennemi de l’État, étaient elles-mêmes considérées comme des ennemis de l’État.
« La Commission a également constaté dans son rapport que le président Jammeh et de hauts fonctionnaires ont fait des victimes parmi les femmes et les jeunes filles, notamment en les violant, en les agressant et en les molestant sans avoir à répondre de leurs actes en tant qu’auteurs. Ainsi, il a été suffisamment établi que la victime faisait partie de la population civile ciblée et que l’accusé a commis les crimes sur les ordres explicites ou au moins implicites et conformément à la politique répressive du collectif d’auteurs d’infractions. » |
La Procureure a également fait valoir qu’Ousman Sonko avait violé la victime à plusieurs reprises en 2005 alors qu’elle était privée de liberté sans base légale ni procès équitable, sans contact avec le monde extérieur, avec peu de nourriture et d’eau, et sans installations sanitaires. Le crime de torture devrait également être confirmé, car l’accusé a menacé de tuer sa victime avec un pistolet et un couteau, et a fait usage d’une force brutale.
Compte tenu des circonstances des crimes – et en particulier de la violence physique et psychologique massive utilisée lors des viols – les crimes doivent être considérés comme aggravés.
Actes de torture, de privation de liberté et de violence sexuelle commis en 2006
Dans le contexte de l’attaque généralisée et systématique contre la population civile, l’accusé, en tant qu’IGP de l’époque, aurait occupé une position importante au sein du Panel d’enquête en rapport avec une tentative de coup d’État en mars 2006. Il serait responsable du fait que les autorités de sécurité et les autorités pénitentiaires, en coopération avec la NIA et les Junglers, ont arrêté plusieurs personnes soupçonnées d’être impliquées dans un coup d’État à l’initiative du Panel, les ont torturées, ont commis des violences sexuelles à leur encontre et les ont détenues illégalement pendant une période de temps excessive. |
Il est incontestable que cinq des plaignant·e·s ont été torturés au cours d’une enquête menée par la NIA en mars 2006 et que des violences sexuelles ont été exercées contre certain·e·s d’entre eux. Toutes les victimes de torture ont également été détenues par les autorités de sécurité et les autorités pénitentiaires pendant une période déraisonnablement longue avant d’être traduites devant un tribunal pour la première fois.
L’accusé a nié être responsable de ces événements, affirmant qu’il n’était pas membre du Panel d’investigation, qu’il n’avait aucune autorité et ne donnait aucun ordre, et qu’il n’avait rien vu ni rien su des tortures et des blessures subies par les personnes torturées.
Cependant, il a été noté qu’Ousman Sonko n’a cessé de changer ses déclarations concernant sa présence au au sein du Panel. S’il a d’abord déclaré qu’il ne s’était rendu au siège de la NIA qu’une seule fois, le 21 mars 2006, il est ensuite resté vague, affirmant qu’il avait des trous de mémoire, ou qu’il ne se souvenait de rien de précis, ou encore que les requérant·e·s mentaient. A l’audience, il a cependant admis qu’il était possible qu’il ait été là.
« Ce va-et-vient de l’accusé montre clairement qu’il tente de se soustraire à ses responsabilités. Selon la devise : « Je n’ai rien fait. Je n’étais pas là. Je n’ai rien à voir avec cela. » Cependant, ce comportement testimonial calculé de l’accusé peut être contrasté par divers témoignages crédibles des personnes impliquées et par les résultats de l’enquête. » |
Tous les requérant·e·s de 2006 ont unanimement témoigné qu’Ousman Sonko était présent lors de leurs auditions devant la NIA et qu’il était perçu comme un membre important du Panel. Ils ont également tou·te·s déclaré que le Panel était composé d’un mélange de forces de sécurité (NIA, armée et police) – ce qui a également été confirmé par les conclusions de la TRRC – tandis que les Junglers ou les membres de la Garde d’État étaient responsables de l’arrestation, de la garde, du transport et de la torture et recevaient des ordres du Panel. Les deux groupes ont collaboré.
En comparant les témoignages des plaignant·e·s, on peut conclure qu’Ousman Sonko ait été présent au siège de la NIA pendant neuf jours au total entre fin mars et novembre 2006 et que certain·e·s détenu·e·s présentaient des signes de torture. D’autres témoins ont fait des déclarations similaires. La TRRC a également constaté que les membres du Panel savaient que des suspect·e·s avaient été torturés par la junte et qu’Ousman Sonko, en particulier, en tant que membre du Panel, était responsable de la torture des personnes arrêtées dans le cadre du coup d’État de 2006.
« Toutes les tortures pratiquées par les Junglers dans le cadre de l’enquête du Panel l’ont été pour le compte et au su du Panel. » |
La déclaration de l’accusé – selon laquelle il n’a entendu parler des tortures qui ont eu lieu devant le Panel qu’en 2006, alors qu’il était déjà arrivé en Suisse et qu’il a entendu parler des Junglers pour la première fois en septembre 2016 – est invraisemblable et contredite par de nombreux éléments de preuve figurant dans le dossier de l’affaire. En effet, différents témoignages ont prouvé qu’Ousman Sonko a eu très tôt connaissance des Junglers et qu’il les connaissait très bien, y compris leur spécialité: la torture et les assassinats.
Les journalistes qui ont été torturés en 2006 n’ont pas été des victimes aléatoires, mais ont été spécifiquement inclus dans l’enquête du Panel en raison de leurs publications liées à la tentative de coup d’État. Le schéma de leur arrestation, de leur détention et de leurs interrogatoires, ainsi que la répartition des tâches entre les forces de sécurité, est le même que celui des autres personnes soupçonnées de coup d’État. Il faut donc en conclure qu’ils étaient également considérés comme des ennemis de l’État. En fait, le TRRC est arrivé à la même conclusion.
En examinant le dossier, il n’y a aucun doute significatif ou raisonnable sur le fait que l’accusé faisait partie du Panel et prenait des décisions clés avec d’autres, ou au moins qu’il était implicitement d’accord avec les actions du Panel en raison de son rôle et de son statut en tant qu’IGP. En effet, son rôle était loin d’être passif, mais plutôt actif, et sa participation au Panel en tant qu’officier de police le plus haut gradé signifiait qu’il était non seulement le principal responsable d’un point de vue hiérarchique, mais aussi opérationnel, et qu’il agissait visiblement en tant que membre du Panel et qu’il faisait partie de l’appareil d’Etat gambien, du fait de l’uniforme qu’il portait.
« La coopération organisée et coordonnée du Groupe avec l’armée, la police, la NIA et les Junglers est cohérente avec le collectif d’auteurs mentionné dans la nature systématique de l’attaque. Il en va de même pour les crimes commis. Les crimes commis contre l’intégrité sexuelle, la torture et la privation de liberté correspondent au catalogue des crimes planifiés et reconnus par le collectif d’auteurs. » |
Compte tenu des circonstances de la torture – et en particulier du fait que les Junglers ont attaqué en groupe des victimes sans défense, en utilisant des fouets, des ceintures, des bâtons, des cordes et des aiguillons électriques – les crimes doivent être considérés comme aggravés.
Assassinat d’un homme politique en octobre 2011
Dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile, Ousman Sonko serait responsable de la mort d’un homme politique en octobre 2011. En tant que Ministre de l’Intérieur à l’époque, il aurait donné des instructions spécifiques aux services pénitentiaires sous son commandement pour qu’ils coopèrent avec les Junglers, et le personnel pénitentiaire a permis à un groupe de Junglers d’accéder librement au détenu, qui était hospitalisé, afin de l’assassiner. |
Au moment de son assassinat en 2011, la victime était une figure éminente de la société et de la politique gambiennes. Il était connu comme un ancien associé de Yahya Jammeh et plus tard comme un homme d’affaires condamné. Il a été membre du parti du président de 1994 à 2003. Il a été démis de ses fonctions au sein du parti en mars de cette année-là, arrêté en novembre 2003 pour fraude et libéré sous caution. Il a été arrêté à nouveau en décembre 2003 et condamné à 9 ans et 8 mois de prison à Mile 2 en mars 2004. Le TRRC a qualifié l’affaire de politiquement motivée.
Selon la Procureure, il est incontestable que la victime a été hospitalisée en octobre 2011, après avoir été blessé en prison, et qu’une équipe de sept Junglers est entrée dans sa chambre alors qu’il dormait et l’a étouffé avec sa couverture.
Ousman Sonko a nié être responsable de sa mort et a affirmé qu’il ne savait rien du plan d’assassinat. Cependant, l’enquête de la Procureure montre que le Ministre de l’Intérieur, par l’intermédiaire de l’administration pénitentiaire, a joué un rôle essentiel dans le plan qui a conduit à cet assassinat et a délibérément agi comme une sorte de « garde-barrière » pour les Junglers.
En effet, il ressort clairement des éléments de preuve figurant dans le dossier qu’Ousman Sonko a été informé par téléphone de l’accident de la victime au Mile 2, qu’il a organisé la visite du chef des Junglers à l’hôpital, qu’il a ordonné le changement de la garde de la victime à l’hôpital et que le noveau garde devait laisser entrer le personnel militaire qui souhaitait rendre visite à la victime. Lorsqu’un groupe de 7 Junglers est arrivé à l’hôpital au milieu de la nuit, le garde les a laissés entrer.
La victime a ensuite été étouffée et le groupe est parti. Des soupçons de dissimulation sont apparus, notamment au sein de la famille de la victime, mais celle-ci a décidé de ne pas pratiquer d’autopsie en raison des risques pour sa sécurité. Ousman Sonko a confirmé au cours du procès qu’il avait été informé de cette situation et qu’il avait reçu l’ordre de remettre le corps à la famille.
« Les autorités pénitentiaires ont bien fonctionné sous la direction et les instructions d’Ousman Sonko et ont travaillé main dans la main avec les Junglers et l’hôpital pour mettre en œuvre le plan d’assassinat. » |
À la lumière de ce qui précède, il n’existe aucun doute significatif ou raisonnable sur le fait que l’accusé, en tant que Ministre de l’Intérieur et membre éminent du collectif d’auteurs de l’État, a été impliqué de manière significative dans le meurtre en question. Dans le cadre de ses fonctions, il n’était pas seulement responsable hiérarchiquement de l’assassinat, mais il était également un membre éminent de ce collectif. Son rôle s’inscrit parfaitement dans la structure globale de l’attaque de l’appareil d’État gambien contre la population civile décrite précédemment. L’accusé a servi de lien entre le Président – qui avait intérêt à éliminer un opposant politique – et les services de sécurité de l’État qui ont perpétré l’infraction. La contribution indispensable de son service pénitentiaire a été d’agir en tant que « gardien », permettant l’accès à la chambre de la victime. Sans cette contribution, les Junglers n’auraient pas pu assassiner la victime. En outre, l’accusé a participé activement à la dissimulation du meurtre. Bien qu’il ait été au courant des plans et qu’il ait su que la police sous son commandement était tenue d’enquêter sur les décès non résolus, il a remis le corps sans autre forme d’enquête ou d’action.
« La coopération systématique du collectif d’auteurs de l’État dans cette affaire est un autre exemple du modèle de répression des opposant·e·s politiques qui a été décrit à plusieurs reprises et répété au fil des ans : un ordre est venu du Président et a été transmis à l’accusé chargé de la sécurité intérieure, qui était responsable de la protection et de la sécurité des détenu·e·s de la prison et de la police. » |
Compte tenu des circonstances du meurtre – et en particulier du fait que la victime était détenue par les services pénitentiaires – les crimes doivent être considérés comme aggravés.
Actes de torture et de privation de liberté commis en 2016
Dans le cadre de l’attaque généralisée et systématique contre la population civile, l’accusé, en tant que Ministre de l’Intérieur, aurait participé à la répression d’une manifestation en avril 2016, au cours de laquelle les autorités policières et pénitentiaires sous son commandement, en coopération avec la NIA et les Junglers, ont commis divers crimes contre les participant·e·s à la manifestation. Le leader de la manifestation a été arrêté et torturé à mort. D’autres participant·e·s au rassemblement ont été arrêtés et torturés, y compris avec des violences sexuelles, et détenus illégalement dans des prisons dans des conditions inhumaines pendant des périodes excessives. |
Il est incontestable que les plaignant·e·s concerné·e·s ont tou·te·s été arrêté·e·s au cours d’une manifestation politique et emmenés à la PIU. Leur transfert ultérieur à la NIA est également incontesté, puisqu’il a été établi que certain·e·s d’entre eux ont d’abord été emmenés à Mile 2. Tou·te·s les détenu·e·s ont finalement été emmené·e·s à Mile 2. Osman Sonko ne nie pas que les six plaignant·e·s ont été torturés par les Junglers à la NIA et que l’un d’entre eux est mort des suites de ces tortures. Il est également clair que les plaignant·e·s ont ensuite été privés de leur liberté.
Il convient également de noter que les plaignant·e·s ont fait des déclarations constantes et cohérentes et n’ont pas essayé d’incriminer inutilement l’accusé.
Néanmoins, Ousman Sonko nie fermement de porter une quelconque responsabilité dans les crimes commis et, en particulier, d’avoir participé au processus qui a conduit au transfert des plaignant·e·s à la NIA ou qu’il ait été présent sur place, sans pouvoir donner de réponses claires sur son rôle spécifique ce jour-là et en se contredisant de diverses manières.
« Les rassemblements politiques, tels que la manifestation du 16 avril 2016, ont été traités par l’État comme des « tentatives de coup d’État » et donc avec la plus haute priorité. Cela explique pourquoi non seulement la police, mais aussi la NIA, les Junglers et l’administration pénitentiaire ont été impliqués dans le traitement spécial des personnes arrêtées lors de la manifestation du 14 avril 2016. » |
Parmi tous les éléments de preuve recueillis et les contradictions relevées, les notes écrites dans lesquelles il est indiqué qu’il a donné des instructions pour que les détenu·e·s soient transféré·e·s à la NIA et que des personnes y soient torturées, prouvent en réalité qu’il a donné des instructions et qu’il savait que les détenu·e·s étaient torturés à la NIA par les Junglers.
Le résultat de l’enquête permet de conclure que le rassemblement qui a eu lieu le 14 avril 2016 était pacifique et que la police – ou l’UPI – était l’autorité qui est intervenue violemment. Il peut également être conclu que l’accusé était présent au PIU le 14 avril 2016, qu’il a donné des instructions sur la manière de procéder avec les détenu·e·s, et qu’il était également présent à la NIA – au moins lorsque certain·e·s des plaignant·e·s s’y trouvaient pour être interrogé·e·s – et qu’il savait ce qui leur était arrivé là-bas, ainsi que le fait que l’un des détenus avait été tué.
En ce qui concerne l’accusation de privation de liberté, la Procureure considère qu’il est prouvé que les requérant·e·s ont été illégalement détenu·e·s pendant une période excessive après leur arrestation par l’unité d’investigation au poste de police, à la NIA et à Mile 2, et qu’Ousman Sonko avait connaissance de ce fait.
À cet égard, la Procureure a souligné que les conditions de détention des prisonnier·e·s politiques à la fois à Mile 2 et à la prison de Janjanbureh étaient particulièrement – et délibérément – mauvaises, comme l’a également constaté la Commission Vérité et Réconciliation. Il a également été soutenu qu’Ousman Sonko ne pouvait pas se soustraire à ses responsabilités en prétendant qu’il n’avait pas de rôle opérationnel.
Sur la base des preuves recueillies, la Procureure a soutenu que l’implication d’Ousman Sonko – au sein d’un collectif d’auteurs – dans ces faits avait été suffisamment prouvée, qu’il était hiérarchiquement responsable de ces faits en tant que Ministre de l’Intérieur, et qu’il avait également participé activement à ce collectif en jouant un rôle de premier plan.
“Depuis l’arrestation à Westfield Junction, en passant par la PIU, la NIA et les prisons, les personnes arrêtées sont devenues des victimes du système de répression éprouvé du collectif d’auteurs de l’État, qui a été décrit à maintes reprises auparavant. Ce schéma a été perfectionné sur une période de 20 ans jusqu’en 2016, ce qui peut être vu, entre autres, dans la manière efficace et naturelle dont les victimes ont été canalisées à travers les différentes scènes de crime.” |
À cet égard, il a également été souligné qu’Ousman Sonko, en tant que Ministre de l’Intérieur, était au courant des crimes commis par les services sous son commandement, ainsi que par les autres agences impliquées, et qu’il ne les a pas empêchés de manière délibérée et intentionnelle. En outre, il aurait pu donner des instructions auxdits services et les empêcher de collaborer avec les auteurs et de commettre des crimes.
Compte tenu des circonstances des crimes en question, ceux-ci doivent être considérés comme des crimes graves contre l’humanité.
À suivre : La plaidoirie de la Procureure sur le verdict.
Partie 1: Le contexte
Après avoir formellement ouvert la session, la Cour a rejeté la demande de la défense de reporter les plaidoiries finales au mois d’avril 2024 afin qu’elle dispose de plus de temps pour préparer ses arguments et revoir l’affaire à la lumière d’une jurisprudence très récente.
La Cour a ensuite donné la parole au Procureur
« Un système qui doit prendre vie doit d’abord rendre justice » – c’est par cette citation du Barreau de l’Afrique de l’Ouest et après avoir rappelé la dimension historique du procès, que la Procureure a commencé ses plaidoiries.
Depuis l’ouverture de l’enquête, Ousman Sonko a nié les faits qui lui sont reprochés ainsi que les infractions pénales et la répression étatique commises par le gouvernement de Yahya Jammeh. Il a maintenu cette ligne de défense jusqu’à aujourd’hui et affirme qu’il n’est pas responsable des violations des droits de l’homme qui ont pu avoir lieu dans le pays. Il s’est également distancié des Junglers, de la NIA et des forces armées en rejetant la responsabilité sur d’autres.
Les 22 années de la présidence brutale de Yahya Jammeh – du coup d’État de 1994 à sa chute en 2016 – contrastent avec la situation des droits humains dans le pays sous l’ancien président Dawda Kaibara Jawara. L’enquête et les rapports du TRRC – qui ont été utiles pour se référer aux conclusions historiques et spécifiques au pays ainsi que pour comprendre le système juridique gambien et comparer les faits examinés en Suisse avec les conclusions nationales – ont montré comment Yahya Jammeh, avec les membres des forces de sécurité, a gouverné avec violence dès les premières années, clouant au pilori les hauts fonctionnaires de l’ancien gouvernement, les arrêtant et parfois les torturant, ainsi que réprimant et punissant toute forme d’opposition et de protestations civiles. Il s’agissait là des premières étapes de la répression systématique de la population gambienne, qui s’est poursuivie et intensifiée au fil des ans.
« Le gouvernement n’a jamais caché qu’il subordonnait tout au maintien de son pouvoir et qu’il était prêt à commettre des crimes pour y parvenir : toutes les personnes qui étaient considérées comme critiques à l’égard du gouvernement étaient qualifiées d’ennemis de l’État, intimidées publiquement, menacées et déshumanisées. » |
Dans ce contexte, la Procureure a noté que la carrière d’Ousman Sonko a connu une progression exponentielle jusqu’à ce qu’il accède au poste de Ministre de l’Intérieur. Jusqu’à ce qu’il s’échappe du pays en 2016, cela montre qu’il est clairement resté dans le cercle rapproché de Yahya Jammeh.
Éléments contextuels des crimes contre l’humanité
Selon la Procureure, des éléments contextuels primordiaux tendent à démontrer qu’une attaque a été dirigée contre la population civile sous le règne de Yahya Jammeh, entre juillet 1994 et fin 2016. Ainsi, les crimes commis sous sa présidence sont des crimes contre l’humanité.
En ce qui concerne l’ampleur de l’attaque contre la population civile, la Procureure a souligné que les moyens utilisés allaient des arrestations à la détention arbitraires, en passant par la torture et les traitements inhumains, ainsi que les viols et autres formes de violence sexuelle. Se référant aux conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation (TRRC), il a été rappelé qu’au moins 214 à 250 personnes ont été exécutées de manière extrajudiciaire pendant la présidence de Jammeh et que des centaines d’autres ont été victimes d’autres crimes contre l’humanité. Ces attaques ont touché toutes les régions de Gambie et au moins 67 ressortissant·e·s non gambien·ne·s.
« Les crimes commis sous le gouvernement de Yahya Jammeh s’inscrivent dans le cadre d’une politique répressive qui a privé de ses droits la population civile attaquée sur le territoire gambien. » |
La Procureure a considéré que la nature systématique de l’attaque avait été démontrée sur la base des éléments suivants tirés du dossier :
Premièrement, il a été prouvé qu’un collectif d’auteurs d’État a agi ensemble de manière organisée et coordonnée pour commettre des crimes. D’une part, l’armée gambienne, y compris la garde d’État, la NIA et les Junglers étaient sous les ordres du Président et, d’autre part, la police – y compris la PIU – et les services pénitentiaires étaient subordonnés au Ministère de l’Intérieur. Deuxièmement, les conditions d’emprisonnement imposées aux ennemis politiques avec le consentement et sous la responsabilité du Ministre de l’Intérieur ont servi à réprimer les ennemis politiques de l’État, à dissuader le public et à briser la résistance des opposant·e·s politiques. Troisièmement, par l’adoption de décrets unilatéraux, le gouvernement a restreint ou privé les détenu·e·s de leurs droits. Le gouvernement a également empêché la population civile de se défendre avec succès contre l’État répressif en mettant en œuvre des réformes du secteur de la justice ainsi que des réformes juridiques ciblées. Le système judiciaire en place a également empêché les auteur·e·s de violations des droits humains d’être poursuivi·e·s et puni·e·s.
Dans ce contexte, Ousman Sonko occupait une position de leader. Tout d’abord, au sein de la Garde d’État à partir de l’année 2000, il a contribué à la politique répressive de l’appareil d’État en étroite coordination avec le Président et la NIA. Ensuite, à partir de 2005, il a occupé le poste d’Inspecteur général de la police (IGP) – le plus haut fonctionnaire de police du pays – et a donc assumé le commandement, la supervision générale et la direction des forces de police, la responsabilité de décider de la stratégie, ainsi que l’ensemble des activités opérationnelles, administratives et personnelles. À partir de 2006, en tant que Ministre de l’Intérieur, ses responsabilités et ses pouvoirs se sont encore accrus. Il a notamment exercé un contrôle total sur les autorités et les services de police.
Pour ces raisons, la Procureure a fait valoir que, compte tenu de ses vastes compétences opérationnelles, de coordination et de supervision en tant que Ministre de l’Intérieur, il devait être exclu que l’accusé n’ait pas eu connaissance du fait que l’appareil d’État assurait son maintien au pouvoir en réprimant violemment la population civile.
« L’accusé a joué un rôle important dans ce système [pénal] dès le début. Il n’a pas été l’outil involontaire ou insoupçonné d’un Président tout-puissant, comme il voudrait nous le faire croire […]. Au contraire, en tant que proche confident du Président, il était pleinement conscient qu’il était activement engagé dans la réalisation de sa « vision » – et donc de l’attaque massive et systématique contre la population civile – qui lui a assuré une longue et fructueuse carrière dans le cercle restreint du pouvoir en Gambie. L’exigence minimale selon laquelle il a agi en connaissance de l’attaque globale doit donc être considérée comme plus que remplie. » |
À suivre : La plaidoirie de la Procureure concernant la responsabilité d’Ousman Sonko dans les accusations spécifiques portées contre lui entre 2000 et 2016.
Entre le 8 et le 26 janvier 2024, la première phase du procès d’Ousman Sonko pour crimes contre l’humanité s’est déroulée à Bellinzone, en Suisse.
Pendant ces trois semaines, la Cour a entendu huit plaignant·e·s qui ont fait le déplacement en Suisse pour raconter leur histoire ainsi que trois témoins. Ousman Sonko a également été entendu sur les faits qui lui sont reprochés : un meurtre et de multiples infractions sexuelles à partir de 2000, des actes de torture et de privation de liberté en 2006, un meurtre en 2011 et des actes de torture et de privation de liberté en 2016, ainsi que sur le contexte général du régime de Jammeh.
Le 26 janvier 2024, la Cour a suspendu le procès pendant que les parties présentaient leurs arguments.
Au cours de cette deuxième phase du procès qui débute aujourd’hui – et qui pourrait durer jusqu’au 8 mars 2024 (éventuellement jusqu’au 11 mars) – la Procureure, les représentant·e·s légaux des plaignant·e·s ainsi que la défense présenteront leurs plaidoiries finales.
Le calendrier du procès est disponible sur le site du Tribunal pénal fédéral (en haut à droite) en français, allemand et italien.
À suivre : La plaidoirie de la Procureure.
Le procès de l’ancien Ministre de l’intérieur de la Gambie, Ousman Sonko, pour crimes contre l’humanité prétendument commis sous le régime de l’ancien dictateur Yahya Jammeh, est en cours depuis près de 3 semaines. TRIAL International a continué à publier des résumés quotidiens et hebdomadaires des procédures.
Le 23 janvier 2024 a marqué la fin des auditions de toutes les parties. Conformément au code de procédure, les parties ont alors eu la possibilité de demander des preuves supplémentaires.
Le Procureur et les plaignant·e·s ont rappelé que plusieurs personnes pouvaient encore être entendues afin de soutenir l’existence d’un système mis en place pour réprimer la population civile dans le cadre des événements de 2006 et que le dossier complet ayant conduit à la récente condamnation de Bai Lowe en Allemagne soit ajouté comme élément de preuve, ainsi que la demande d’asile faite par l’accusé en Suède.
En ce qui concerne les aspects juridiques, il a été souligné que les faits en question pourraient constituer l’infraction aggravée de crimes contre l’humanité (Art. 264a al. 2 du Code pénal suisse – CP) et que la responsabilité pénale d’Ousman Sonko ne devrait pas seulement être considérée comme un comportement actif mais aussi comme une omission (comportement passif), à travers le prisme de la responsabilité du supérieur en ce qui concerne les événements de 2016.
La défense a critiqué le soutien apporté par TRIAL International aux plaignant·e·s au cours de la procédure et pendant le procès. Elle a remis en cause le financement des voyages des plaignant·e·s en Suisse pour assister au procès et a adressé des critiques directes à certain·e·s des représentant·e·s légaux des plaignant·e·s, arguant qu’ielles n’étaient pas indépendant·e·s vis-à-vis de TRIAL International. Elle postule également que les demandes de preuves par les autres parties devraient être rejetées.
Le 24 janvier 2024, les parties ont été invitées à répondre.
Le Procureur a soutenu certaines des demandes des plaignant·e·s et s’en est remis à la Justice pour d’autres. Il a en outre souligné que les demandes de la défense n’étaient pas fondées.
Les arguments de la défense exprimés à l’encontre de TRIAL International ont été considérés par les représentant·e·s légaux comme non pertinents et comme des tactiques de diversion. La demande a ensuite été retirée par la défense.
La Cour a statué oralement en allemand en acceptant divers éléments de preuve dans le dossier, notamment ceux permettant d’évaluer les dommages subis par certain·e·s plaignant·e·s. En revanche, les auditions de témoins supplémentaires ont été rejetées. De même, la Cour a refusé d’inclure la procédure allemande contre Bai Lowe dans le dossier suisse ainsi que le dossier d’asile suédois de l’accusé.
Elle a également rejeté toutes les demandes formulées par la défense.
La Cour a ensuite déclaré que l’acte d’accusation contenait suffisamment d’éléments pour qu’elle puisse juger des circonstances aggravantes de crimes contre l’humanité et a donc invité la défense à inclure cet aspect dans sa plaidoirie.
Après la lecture orale de la décision, la Cour a informé les parties que les plaidoiries finales auront lieu dans la semaine réservée du 4 au 8 mars 2024.
La Cour a enfin informé les parties que la phase de présentation des preuves est close. En conséquence, aucune nouvelle preuve ne sera acceptée et le verdict sera basé sur le dossier tel quel.
La défense a ensuite informé la Cour qu’une demande de mise en liberté de l’accusé serait déposée. Aucun autre détail n’a été fourni.
Prochaine étape : Reprise du procès avec les plaidoiries des parties le 4 mars 2024 (sous réserve de modification).
(actes de torture, de séquestration et de violences sexuelles commis en tant que crimes contre l’humanité)
Dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en tant que complice d’un groupe d’auteurs, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des politicien·ne·s et des journalistes, de les avoir illégalement privées de leur liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul, en Gambie.
Ousman Sonko a été appelé à témoigner et confronté aux résultats de l’enquête ainsi qu’aux déclarations supplémentaires des plaignant·e·s faites devant la Cour, en ce qui concerne les accusations susmentionnées.
L’accusé a expliqué que la police gambienne était l’une des forces les plus respectées. Il a ensuite répété qu’il n’avait que des fonctions non opérationnelles en tant qu’Inspecteur général de la police (IGP) et que l’agence nationale de renseignement (NIA) n’avait jamais été sous son contrôle. Tous les groupes d’enquête ont été mis en place sous l’égide de la NIA et sur ordre de Yahya Jammeh. Il a contesté les conclusions de la TRRC qui affirment qu’il était responsable, en tant qu’IGP, de la torture de personnes prétendument impliquées dans la tentative de coup d’État.
Entre autres déclarations, il a affirmé ce qui suit :
Aux plaignant·e·s qui ont déclaré l’avoir vu en uniforme de police dans le cadre du groupe d’enquête, l’accusé a répondu soit que cela aurait pu être possible, soit qu’il n’en avait aucun souvenir. Il n’est cependant pas exact de dire qu’il était le plus haut niveau de la hiérarchie au sein du groupe d’enquête. Il a seulement été sollicité par le chef d’état-major de la défense pour sélectionner les officiers de police qui participeraient au panel.
En ce qui concerne les articles de presse de mars 2006 affirmant que des journalistes arrêtés par l’Unité d’intervention de la police (PIU) ont été présentés à l’accusé, il a mis en doute leurs sources.
Ousman Sonko a ensuite expliqué que, le 21 mars 2006, il était membre du panel pour la première fois en tant qu’observateur et que les interrogatoires avaient déjà commencé. Il a rendu visite au panel une ou deux fois. Sa présence était requise – ainsi que celle d’autres fonctionnaires – pour libérer des personnes et de s’excuser de leur arrestation et de leur détention. L’accusé n’avait pas connaissance d’actes de torture perpétrés par des policiers pendant la détention de ces personnes.
Contrairement aux témoignages de certain·e·s plaignant·e·s, Ousman Sonko a nié avoir été témoin de violences ou de blessures infligées aux victimes par les membres du panel ou devant le panel. Il n’était pas en son pouvoir d’empêcher les actions des auteurs.
Confronté aux dépêches WikiLeaks de l’ambassade américaine en Gambie, selon lesquels l’unité d’information du public a fermé les bureaux de The Independent, l’accusé a fait valoir que l’unité d’information du public avait appliqué une décision de justice.
À la question de savoir s’il aurait ordonné ou joué un rôle, en tant qu’IGP ou plus tard en tant que Ministre de l’intérieur, dans la détention de personnes pendant plus de 72 heures sans inculpation, Ousman Sonko a expliqué que les services sous son contrôle ne l’auraient pas fait, et que si c’était le cas, il ne pourrait s’agir que d’un incident isolé.
À suivre : Demandes de preuves et mises à jour des procédures.
(actes de torture, de séquestration et de violences sexuelles commis en tant que crimes contre l’humanité)
Dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en complicité avec un groupe d’auteur·e·s, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des politicien·ne·s et des journalistes, de les avoir illégalement privées de liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul, Gambie.
Le plaignant appelé à témoigner est un journaliste gambien depuis les années 1990. En 2006, il occupait un poste important au sein du journal national de renom The Independent, ainsi qu’au sein de l’Union de la presse gambienne (GPU). Il a été arrêté à la fin du mois de mars 2006, après que le journal ait publié plusieurs articles critiques sur la tentative de coup d’État contre Yahya Jammeh. En 2017 et 2022, il a été élu parlementaire pour le parti UDP. |
Le plaignant a rappelé à la Cour que, fin mars 2006, alors qu’il entrait dans son bureau à The Independent, des policiers habillés en civil, qui l’attendaient, l’ont informé qu’il était en état d’arrestation. Il a été conduit au siège de l’unité d’intervention de la police (PIU). Il s’y attendait, car un collègue avait été arrêté la veille. À son arrivée à PIU, il a vu plusieurs de ses collègues, dont certain·e·s ont été relâché·e·s peu après.
Il a lui-même été conduit par la police à la National Intelligence Agency (NIA) à Banjul. Là, il a vu un collègue journaliste et tous deux ont été emmenés à la police où ils ont été placés dans une cellule très étroite, sale et malodorante. Il a été interrogé sur les articles qu’il avait écrits sur la tentative de coup d’État. Au bout d’un certain temps, ils ont tous deux été ramenés à la NIA où il a été confronté à des questions similaires.
Une nuit, des hommes masqués l’ont fait sortir de sa cellule et l’ont battu alors qu’il était interrogé sur son travail. Il a subi de nombreuses blessures aux mains, aux bras et au dos alors qu’il essayait de protéger son visage des coups violents. Il a également été insulté et battu à plusieurs reprises.
À un moment donné, il a été conduit devant un panel composé d’environ dix à vingt personnes, dont Ousman Sonko, qui était à l’époque Inspecteur général de la police (IGP). Il lui a été clairement expliqué qu’il était visé en tant que journaliste, d’autant plus qu’il travaillait pour ce journal.
Il a été détenu pendant plusieurs semaines. La police est restée présente à proximité du journal pendant environ deux ans – sur ordre de l’IGP – l’empêchant ainsi de faire son travail.
Il a souffert de blessures physiques et de traumatismes psychologiques dus à la violence qu’il a subie.
À l’époque, la situation politique était terrible. Selon le plaignant, la Gambie a connu l’enfer entre 1994 et 2016. Yahya Jammeh était un tyran. Avec son cabinet, ils ont créé un réseau qui terrorisait la population. Des politicien·ne·s et des personnalités religieuses ont été arrêtés. La justice était sélective et injuste. Les bâtiments des médias ont été incendiés, les médias muselés et les journalistes considéré·e·s comme des « espèces en voie de disparition ». Après la chute de l’ancien président, les Gambien·ne·s ont retrouvé leur liberté.
La Gambie est un petit pays où tout le monde est lié. La majorité des Gambien·ne·s sont musulman·ne·s, mais la tolérance religieuse existe aujourd’hui. Le tribalisme était inconnu jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Jammeh. Ce dernier était un Diolla – une petite tribu – et percevait les autres groupes ethniques comme une menace. Le Parlement était libre sous la première République, il était le reflet du peuple, ce qui a été perdu sous Jammeh.
Fait marquant de la procédure Lors de la reprise de l’audience le 23 janvier 2024, la défense a déposé une déclaration écrite sous serment de l’ancienne épouse d’Ousman Sonko datée du 22 janvier 2024. Selon la défense, ce document met en évidence la personnalité de l’accusé, en particulier en privé. Le procureur a fait valoir que ce document n’était pas pertinent pour la défense, mais qu’il ne s’opposerait pas à l’inclure dans le dossier s’il était important pour l’accusé. Les plaignant·e·s s’en remettent à la Cour pour l’admission de ce document dans la procédure, tout en soulignant qu’il n’a aucune importance dans la pratique juridique suisse et que son audition en tant que témoin n’est ni nécessaire ni recommandée étant donné sa proximité avec l’accusé et l’équipe de la défense et le fait qu’elle ait assisté au procès. La Cour a accepté le document dans le dossier. |
À suivre : L’audience d’Ousman Sonko sur les accusations de 2006.
(actes de torture, de séquestration et de violences sexuelles commis en tant que crimes contre l’humanité)
Dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en complicité avec un groupe d’auteur·e·s, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des politicien·ne·s et des journalistes, de les avoir illégalement privées de liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul, Gambie.
Le plaignant appelé à témoigner est un journaliste gambien depuis les années 1990. En mars 2006, The Independent a publié plusieurs articles sur la tentative de coup d’État contre le gouvernement de Yahya Jammeh. Le plaignant a été arrêté à la fin du même mois. |
Le plaignant se souvient avoir été arrêté fin mars 2006 par des policiers et des militaires et conduit au poste de police de Kanifing, puis au siège de l’Unité d’intervention de la police (PIU). Sans qu’on lui ait expliqué la raison de son arrestation, il a ensuite été conduit au siège de la National Intelligence Agency (NIA). Là, il a été placé dans une cellule avec un détenu accusé d’avoir participé au coup d’État, qui a visiblement été torturé et qui a affirmé l’avoir été.
Il a été détenu à la NIA jusqu’en avril 2006 et sévèrement battu par les Junglers, dont certains avaient été recrutés par la PIU, comme il l’a appris plus tard. Il a dû endurer de terribles actes de torture jusqu’à ce qu’il s’évanouisse et soit laissé pour mort. Il a subi de graves blessures physiques, en particulier aux mains et à la bouche, symbole de ses activités de journaliste.
Lors d’une visite à la NIA, il a rencontré Ousman Sonko et certains membres du personnel de la NIA.
Lors de sa libération sous caution vers la fin du mois d’avril 2006, il a dû se rendre dans plusieurs hôpitaux. Comme il était clair pour les médecins qu’il avait été torturé, ils n’ont pas voulu lui fournir de traitement médical parce qu’ils avaient peur.
Il a donc fui le pays avec sa femme enceinte pour se rendre au Sénégal.
Il a subi des traumatismes physiques et psychologiques à la suite des événements violents qu’il a vécus. En particulier, il est presque à moitié aveugle, il a des cicatrices dans le dos et fait encore des cauchemars aujourd’hui. Toute sa famille a également été traumatisée, en particulier son fils après avoir vu ses cicatrices.
À The Independent, tout le monde a été persécuté d’une manière ou d’une autre. Malheureusement, la question n’était pas de savoir si quelqu’un allait être arrêté, mais quand. Selon le plaignant, la torture et la tyrannie ont commencé avec le régime de Jammeh.
Confronté à un extrait du dossier dans lequel Ousman Sonko déclare qu’il ne sait pas ce qui lui est arrivé, le plaignant explique qu’il ne croit pas à cette déclaration car la police a participé à son arrestation et à son transfert au siège de la NIA.
À suivre : Poursuite de l’interrogatoire des plaignant·e·s sur les événements de mars 2006 en relation avec la persécution de journalistes.
(15-19 janvier 2024, Tribunal pénal fédéral, Suisse)
Le procès d’Ousman Sonko s’est ouvert le 8 janvier 2024 devant le Tribunal pénal fédéral suisse (TPF). Un panel de trois juges examine la responsabilité de l’ancien Ministre de l’Intérieur gambien dans les nombreux crimes contre l’humanité qu’il est accusé d’avoir commis entre 2000 et 2016, sous le régime de l’ancien président Yahya Jammeh.
Pendant les trois semaines du procès, Ousman Sonko est représenté par une équipe de défense de quatre personnes. Neuf plaignant·e·s sont entendu·e·s pendant deux semaines. Ielles sont représenté·e·s par leurs avocat·e·s et soutenu·e·s par TRIAL International, qui a déposé la dénonciation pénale contre Ousman Sonko en 2017.
Après l’audition d’Ousman Sonko le 18 janvier 2024, un plaignant a été appelé à faire une déclaration sur son arrestation et les tortures qu’il a subies en 2006.
Son audience a été interrompue à la fin de la journée et il a été prévu qu’elle se poursuive le 19 janvier 2024.
La défense a informé la Cour et les parties dans la soirée qu’elle ne serait pas en mesure de représenter son client le lendemain.
Le procès ne pouvant se poursuivre sans la présence de la défense, la Cour, conformément au code pénal procédural, a suspendu la procédure et informé les parties qu’elle reprendrait le lundi 22 janvier 2024, à 8h30 (CET).
En conséquence, les dernier·es plaignant·es seront interrogé·es la semaine prochaine et la Cour a donc accepté de prolonger leur séjour.
Toutefois, les autres plaignant·es ayant déjà témoigné, doivent quitter la Suisse le 20 janvier 2024 et ne seront pas en mesure d’entendre le nouvel interrogatoire de l’accusé la semaine prochaine, en l’absence de moyens leur permettant de prolonger leur séjour. S’iels parvenaient à avancer les frais, nous ignorons si la Cour envisage de les rembourser ou non.
En ce qui concerne l’accès des victimes à la justice, TRIAL International est convaincue que la présence des plaignant·es à l’audience d’Ousman Sonko et leur confrontation avec les faits en jeu peuvent contribuer à leur processus de guérison et apporter à chacun·e la conclusion qu’iels attendent depuis des années. TRIAL International rappelle que les plaignant·es auraient dû être invité·es à assister à l’intégralité du procès et que leurs frais auraient dû être pris en charge, car la participation des victimes à ces procès est de la plus haute importance et s’aligne sur le principe de compétence universelle qui permet aux victimes d’être entendues devant des juridictions étrangères sur les crimes graves qu’elles ont subis. |
Ousman Sonko est accusé, en complicité avec un groupe d’auteurs, d’avoir torturé plusieurs opposant·e·s politiques et de les avoir illégalement privé·e·s de liberté dans le cadre d’une manifestation politique organisée en avril 2016 à Banjul. Dans ce contexte, Ousman Sonko est notamment soupçonné d’avoir torturé puis tué l’un des organisateurs de la manifestation.
Fait marquant de la procédure : La Cour a accepté les articles de journaux gambiens concernant l’exécution de neuf détenus en 2012 comme éléments de preuve à ajouter au dossier. |
Ousman Sonko a été appelé à témoigner sur les événements du 14 avril 2016.
L’accusé a nié avoir été présent au siège de l’Unité d’intervention de la police (PIU HQ), rappelant que certaines personnes avaient déclaré ne pas l’avoir vu. S’il n’était pas sur place le 14 avril, il y était bien le 16 avril 2016. Pour cette raison, certaines personnes ont pu confondre. En outre, il n’a pas participé au groupe d’enquête de la NIA.
Ousman Sonko a ensuite répété que le commandement et la structure des Junglers n’étaient pas sous sa supervision.
Il a ensuite été confronté à des notes écrites – trouvées par la police – dans une valise saisie là où il avait été arrêté en 2017. Ces notes, entre autres, disent ce qui suit : « (…) lors de l’incident des 14 et 16 avril, il m’a donné des instructions pour que la police tire et tue l’opposition (…) → a pris le contrôle du PIU« . L’accusé a contesté avoir eu un quelconque document dans la valise mais a confirmé qu’il s’agissait de son écriture. Il a expliqué que la première partie des événements mentionnés dans cette note ne s’était jamais produite et que la seconde partie avait eu lieu, mais plus tard.
La seconde note disait : « Directive de harceler (…) et même d’assassiner et de ne pas délivrer de permis pour (…) j’ai refusé. (…) ne lui a pas plu (…) ; il m’a ordonné de donner des instructions à la police pour qu’elle tire et tue les manifestants des 14 et 16 avril, ce que j’ai refusé ; il a donné des instructions pour que les personnes arrêtées par la police soient remises à la NIA, ce que j’ai fait. Elles ont été remises à la NIA, qui lui rend directement compte. À la NIA, ces personnes auraient été (étaient) torturées par les forces spéciales du président, appelées « black black » ou « Junglers« . Les Junglers répondent directement au président. Les partisans de l’UDP ont été sévèrement torturés [ce qui a entraîné la mort de Solo SANDENG et d’autres ont été gravement blessés] ». Ousman Sonko a expliqué que ce n’était pas ce qui s’était passé et qu’il avait écrit cette note pour appuyer sa demande d’asile.
En outre, Ousman Sonko a déclaré qu’il était faux de dire que les manifestant·e·s avaient été arrêtés en avril 2016 en raison de leur opposition politique, mais que la manifestation avait eu lieu illégalement. Les arrestations n’avaient donc rien à voir avec une violation de leurs droits politiques ou de leur liberté d’association, mais relevaient d’une question de sécurité.
En ce qui concerne les conditions de détention à Mile 2, tout en reconnaissant qu’elles n’étaient pas les meilleures, il a répété qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour les améliorer pendant son mandat au ministère. Selon la loi, ce n’est pas à lui de visiter les lieux de détention, mais aux directeurs des prisons. En tant que ministre, il n’avait pas de tâches opérationnelles et il ne lui appartenait pas de contrôler David Colley (ancien directeur général des prisons, DGP). De même, la décision de transférer des détenu·e·s d’un lieu de détention à un autre relevait de la responsabilité du DGP.
Fait marquant de la procédure : Lors de la reprise de l’audience le 18 janvier 2024, le dépôt, par les plaignant·e·s, de documents supplémentaires relatifs aux événements de mars 2006 (articles de journaux gambiens archivés), une vidéo de juin 2016 montrant Ousman Sonko s’adressant publiquement à une foule ainsi que, entre autres, une lettre d’Amnesty International confirmant la liste des rapports publiés sur la situation des droits humains en Gambie sous Yahya Jammeh et les nombreux appels à des « actions urgentes » publiés par l’Organisation – où Ousman Sonko a été suggéré comme destinataire en tant que Ministre de l’Intérieur, a été discuté. Le procureur fédéral a soutenu les demandes d’inclusion de ces éléments supplémentaires dans le dossier, arguant qu’ils démontrent les éléments d’une attaque contre la population civile et en particulier l’attaque contre les journalistes. La défense s’en est remise à la décision de la Cour d’accepter ou non ces documents. Après une courte pause, la Cour a accepté les documents et d’autres rapports complémentaires comme éléments de preuve à ajouter au dossier, confirmant que, prima facie, ils sont susceptibles de fournir des informations supplémentaires aux juges pour décider de l’existence d’une attaque contre la population qui est un élément du crime contre l’humanité. |
L’audience de l’accusé a ensuite repris. Le procureur a confronté Ousman Sonko au fait qu’il venait de reconnaître – pour la première fois dans la procédure – que c’était lui qui avait rédigé les notes. Il a répondu que les documents en question ne se trouvaient pas dans sa valise, qu’il n’était pas présent lorsque la documentation a été saisie et que la police était la mieux placée pour répondre à la question de savoir où ces documents avaient été trouvés.
Il n’a pas admis qu’il s’agissait de son écriture pendant l’enquête parce qu’il exerçait son droit de garder le silence et parce qu’il voulait le dire à la Cour. Il a refusé de répondre à la question de savoir pourquoi, selon sa récente déclaration, ces notes ne reflétaient que partiellement la vérité. Il a ensuite été confronté au fait que la seule partie où il disait que les notes n’étaient pas vraies correspondait aux conclusions de la TRRC, aux déclarations des plaignants, ainsi qu’aux résultats de l’enquête du procureur. Il a répondu qu’il n’y avait rien de concret et que tout était vague.
Le processus de la Commission vérité et réconciliation (TRRC) n’était pas une procédure pénale où les témoignages auraient été contre-vérifiés. Par conséquent, il n’est pas possible de conclure que le rapport final de la TRRC reflète la réalité.
Ousman Sonko a répété que les arrestations d’avril 2016 étaient légales et qu’aucune infraction n’avait été commise à l’UPI. Il n’est notamment pas au courant d’une quelconque agression sexuelle qui aurait eu lieu à cet endroit. Il s’est excusé pour les désagréments qui ont pu être causés aux plaignant·e·s en ce qui concerne leurs conditions de détention. Ce n’était pas le résultat d’une politique délibérée et cela n’avait rien de personnel. Il a fait de son mieux pour améliorer les conditions de détention. Le DGP avait le contrôle opérationnel et administratif des lieux de détention. Il a ensuite demandé où il était écrit que le Ministre de l’Intérieur devait contrôler le DGP.
Confronté à l’Art. 92 de la loi gambienne sur les prisons – qui permet au Ministre de l’Intérieur d’établir des règles concernant la gestion des prisons – il a expliqué que ce pouvoir d’établir des règles était fondamentalement différent des tâches opérationnelles et administratives. Il n’avait pas souvenir d’un rapport l’informant qu’un·e détenu·e n’était pas médicalement apte à être incarcéré·e (en référence à la règle 13 de la législation subsidiaire de la loi sur les prisons).
Entre autres déclarations, Ousman Sonko a confirmé que le Ministère de l’Intérieur était membre du comité de visite des prisons, comme l’indiquaient les documents du dossier. Cependant, ce n’est pas lui qui représentait le Ministère lors de ces visites. Il n’a vu aucune lettre qui lui aurait été adressée dans le cadre des appels urgents d’Amnesty International.
Confronté à un article de Foroyaa publié en août 2012 et intitulé « Déclaration du Ministère de l’Intérieur sur les exécutions » qui dit : « Le grand public est averti par la présente que l’état de droit en ce qui concerne la paix et la stabilité et la protection des vies, des biens et de la liberté ne sera pas compromis pour quelque raison que ce soit« , Ousman Sonko a demandé quel était le problème avec une telle déclaration. Selon lui, les communiqués de presse d’entre février et mai 2015, récemment rajoutés au dossier, mettant en évidence de nombreuses arrestations et détentions illégales, sont la preuve que la presse était libre.
Il a répété que la NIA n’a jamais été sous son contrôle de facto ou de jure et que, par conséquent, il n’aurait pu prendre aucune mesure à l’égard de l’Agence après la mort de Solo Sandeng en avril 2016. De même, ce n’est pas à lui de prendre des mesures concernant les personnes arrêtées le 14 avril 2016, mais à ceux sous la garde desquels elles se trouvaient.
Questionné au sujet des découvertes du TRRC selon lesquels Yayha Jammeh aurait déclaré publiquement contre les Mandinkas « Je vais les exterminer et rien n’en sortira » et qu’il allait « tuer les Mandinkas un par un et les mettre là où même une mouche ne pourrait pas les trouver« , ainsi qu’au sujet d’une déclaration qu’il avait lui-même faite lors d’une soi-disant tournée de dialogue avec le peuple en compagnie du président en juin 2016, affirmant que « toute manifestation serait interdite et que tous ceux qui manifesteraient le regretteraient« , Ousman Sonko a fait valoir que cette déclaration devait être replacée dans son contexte et que ses propos n’étaient pas la cause de ce qui s’était passé le 14 avril 2016, mais plutôt une réaction à ce qui s’était passé à la suite d’une manifestation non autorisée en 2000. Des manifestations similaires ayant entraîné des décès et des dégâts dans le passé (référence faite à la manifestation d’avril 2000), il ne voulait pas que de tels événements se reproduisent. En disant cela, il voulait prévenir de futures manifestations non autorisées.
Suite aux questions de son avocat, Ousman Sonko a expliqué qu’en cas de manifestations où les manifestant·e·s refuseraient de se disperser, des arrestations pourraient avoir lieu. En avril 2016, le leader de la manifestation savait qu’elle était illégale et la police de Westfield était intervenue conformément à la loi.
Ousman Sonko a également expliqué qu’il a toujours plaidé contre la torture et qu’il s’est efforcé de faire en sorte que ses subordonnés n’y aient pas recours. Il a entendu dire que la torture était utilisée à la NIA lorsqu’il était Ministre.
En ce qui concerne la note écrite discutée précédemment, l’accusé a réitéré qu’il n’avait jamais reçu l’ordre de tirer sur les manifestant·e·s et qu’il n’aurait pas suivi un tel ordre. Il n’a participé à aucune discussion du Cabinet au cours de laquelle une attaque contre la population aurait été discutée. Il a également répété qu’en tant que Ministre, il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour améliorer les conditions de détention.
À suivre : Interrogatoire des parties plaignantes au sujet des événements de mars 2006 en relation avec la persécution de journalistes.
Ousman Sonko est accusé, en complicité avec un groupe d’auteurs, d’avoir torturé plusieurs opposant·e·s politiques et de les avoir illégalement privé·e·s de liberté dans le cadre d’une manifestation politique organisée en avril 2016 à Banjul. Dans ce cadre, Ousman Sonko est notamment soupçonné d’avoir torturé puis tué l’un des organisateurs de la manifestation.
Ousman Sonko a contesté toutes les accusations portées contre lui en lien avec la torture, la privation de liberté et les conditions de détention cruelles des manifestants en avril 2016.
Les plaignant·e·s et le procureur ont demandé à ce que des témoins soient entendus.
Le premier témoin, demandé par les plaignant·e·s, a été gardien de prison pendant dix-neuf ans à Mile 2. Il travaillait sous la supervision de l’ancien directeur de la prison David Colley. En 2016, il a été lui-même emprisonné à Mile 2 pendant neuf mois en même temps que certains des plaignant·e·s. Le témoin a témoigné devant la TRRC le 24 juin 2020, affirmant, entre autres, qu’Ousman Sonko était pleinement informé de la manière dont la prison était gérée par son subordonné David Colley. |
Au cours de l’audience, le témoin a confirmé qu’il avait notamment travaillé dans les prisons de Mile 2 et de Janjanbureh en tant qu’agent pénitentiaire sous la présidence de Jammeh. Les conditions de détention étaient globalement les mêmes dans les deux endroits. Mile 2 n’était pas un endroit propre. Les cellules variaient entre de grandes salles et des endroits très étroits où l’air ne circulait pas bien. Le peu de nourriture que les détenu·e·s recevaient les rendait malades. Il a lui-même été malade pendant son incarcération à Mile 2, de janvier à octobre 2016. Il n’a reçu aucun traitement médical, alors qu’il en aurait eu besoin.
Certains détenu·e·s avaient accès à des avocat·e·s, mais pas lui. De même, certains détenu·e·s étaient autorisé·e·s à recevoir des visites familiales, d’autres non.
Dans l’aile de sécurité de Mile 2 – où il était détenu depuis un certain temps – il y avait des prisonnier·e·s qui avaient été condamné·e·s à perpétuité, d’autres à mort, certains n’avaient jamais été condamné·e·s et d’autres encore n’étaient même pas au courant des raisons de leur détention. Les détenu·e·s politiques n’étaient pas détenu·e·s au même endroit que les autres prisonnier·e·s. Le témoin a entendu dire que les Junglers et la NIA avaient accès aux détenu·e·s. Ils seraient venus pendant la nuit pour que personne ne sache ce qui se passait.
Le témoin a confirmé avoir vu des actes de torture commis à Mile 2 alors qu’il était lui-même détenu. Il a ajouté qu’il n’avait jamais vu Ousman Sonko en prison et que David Colley était une mauvaise personne.
Le deuxième témoin, sollicité par le Procureur, était parmi les manifestant·e·s lors de la manifestation du 14 avril 2016. Il a été arrêté par la police avec certains des plaignant·e·s, torturé par le personnel de la NIA et détenu illégalement pendant un certain temps. Le témoin a témoigné devant le TRRC le 28 décembre 2020, dans le cadre du procès dit de la NIA9 en Gambie, ainsi que devant les autorités de poursuite suisse en juin 2021. |
Le témoin a expliqué qu’il avait rejoint la manifestation du 14 avril 2016 à la demande de Solo Sandeng. La manifestation – qui visait à appeler à un véritable dialogue électoral et à des élections démocratiques – n’était pas autorisée mais était prévue pour être pacifique.
Au moment de son arrestation, il a été battu à coups de bâtons par l’Unité d’intervention de la police (PIU) et emmené au siège de l’unité. Des responsables des forces de sécurité et des membres de la National Intelligence Agency (NIA) étaient présent·e·s. Ousman Sonko est arrivé plus tard, accompagné de l’ancien directeur de la NIA. L’ancien inspecteur général de la police (IGP) était également présent, ainsi que le commissaire de police. Avec certains des plaignant·e·s, il a reçu l’ordre de tenir une pancarte demandant des réformes politiques et a été photographié par un caméraman.
Ensuite, Ousman Sonko et l’ancien IGP ont ordonné de l’emmener, ainsi que d’autres plaignant·e·s, au siège de la NIA. Les personnes arrêtées ont été photographiées, menottées, par les médias à leur arrivée à la NIA.
Le témoin a déclaré avoir vu Ousman Sonko à la NIA ainsi que le directeur de la NIA, le directeur des opérations de la NIA, l’IGP et d’autres responsables de la sécurité. Là, les personnes arrêtées ont été insultées, violemment battues et poussées à signer des déclarations pré-écrites, ce qu’il a fait. Il a ensuite été emprisonné.
Le témoin a ensuite décrit en détail les actes de torture et les humiliations subis par les personnes arrêtées, les cris qu’il entendait depuis sa cellule. Il a également dû endurer ce que les tortionnaires (Junglers et membres de la NIA) appelaient le « traitement VIP », c’est-à-dire des actes d’une cruauté particulière. Il a ensuite été présenté à un panel au sein duquel Ousman Sonko était présent, ainsi que le directeur de la NIA et le directeur des opérations de la NIA.
Devant ce panel, visiblement blessé, il a été à nouveau menacé. Il a ensuite été incarcéré à la prison de Bambadinka, où il a de nouveau été maltraité et battu, sans recevoir de soins médicaux. Il a ensuite été conduit à la prison de Mile 2, dans l’aile de sécurité maximale, où il n’a pas eu le droit de voir sa famille ni un avocat. Il a également été conduit à la prison de Janjanbureh. Dans les deux cas, les conditions de détention étaient médiocres et les installations médicales étaient inadéquates ou inexistantes.
En ce qui concerne le contexte politique et des droits humains en Gambie, le témoin a expliqué que, sous Yahya Jammeh, les membres de l’opposition étaient soit emprisonné·e·s, soit contraint·e·s de quitter le pays. Le pouvoir judiciaire était sous l’influence du président et les procédures étaient partielles. En outre, le Président faisait taire les journalistes en les tuant, en les arrêtant ou en les forçant à fuir le pays.
Faits marquants de la procédure Lors de la reprise de l’audience le 17 janvier 2024, le dépôt de documents supplémentaires (articles de journaux gambiens archivés) relatifs à l’exécution illégale de neuf détenus de Mile 2 en 2012 a été discuté. De l’avis du Procureur et des plaignants, ces documents appuient le fait qu’une politique d’oppression systématique et planifiée a été mise en place par les autorités gambiennes, en particulier parce qu’ils font référence à un avertissement officiel et public adressé à la population par le ministère de l’Intérieur après l’exécution des détenus. Les documents mettent en évidence l’interaction entre les différents acteurs étatiques – et en particulier le rôle d’Ousman Sonko – au sein du gouvernement de Yahya Jammeh pour mettre en œuvre cette politique. La défense a fait valoir que le dépôt de ces documents devait être rejeté car les exécutions de détenus en question étaient légales et ne pouvaient donc pas constituer la preuve d’une attaque systématique ou généralisée contre la population civile. La Cour se prononcera ultérieurement. |
Ousman Sonko est accusé d’avoir tué intentionnellement Baba Jobe – ancien membre de l’Assemblée nationale – à Banjul en octobre 2011, en complicité avec un groupe d’auteurs.
Ousman Sonko a contesté toutes les accusations portées contre lui en relation avec cet événement. Un témoin a été appelé à la barre à la demande de l’accusation.
Le témoin a été gardien de prison (assistant de David Colley, directeur général des prisons, à la prison de Mile 2). Il était chargé de surveiller le prisonnier Baba Jobe, hospitalisé les 28 et 29 octobre 2011.
Selon le procureur fédéral, sur ordre, le témoin a permis à un groupe de Junglers d’accéder à la chambre d’hôpital de Baba Jobe afin qu’ils puissent le tuer. Le témoin dispose également d’informations importantes sur les autorités pénitentiaires qui, à l’époque, étaient directement placées sous la hiérarchie de l’accusé.
Lors de la phase d’enquête, le témoin a été entendu par le Ministère public suisse en mars 2021 en Gambie où il travaillait encore comme gardien de prison.
Selon le Procureur, son audition par la Cour est déterminante dans le cadre de l’examen de la responsabilité d’Ousman Sonko dans le meurtre de Baba Jobe.
Le témoin a déclaré que les détenu·e·s étaient ramassé·e·s dans la prison Mile 2, principalement par des Junglers, et emmenés à la NIA pour y être torturés. Invité par la Cour à décrire l’état et l’apparence des détenus ramenés à la prison, le témoin a répondu qu’il était visible qu’ils avaient été torturés.
Le témoin a également déclaré que David Colley, son supérieur, fournissait des rapports quotidiens à Ousman Sonko tous les matins par téléphone.
En octobre 2011, David Colley demande au témoin de garder Baba Jobe, qui est hospitalisé. David Colley informe alors le témoin que des hommes vont arriver et qu’il doit leur donner accès à Baba Jobe. Le témoin explique ensuite que des Junglers sont entrés dans la chambre d’hôpital de Baba Jobe et l’ont étouffé. Bien qu’il n’ait pas pu confirmer que ces instructions provenaient directement d’Ousman Sonko, le témoin a maintenu que le ministre de l’Intérieur devait être informé de toute action ou décision prise par Colley.
Même si l’accusé a confirmé qu’il avait autorité sur David Colley, il a nié avoir eu des appels téléphoniques réguliers et quotidiens avec lui. En outre, il n’a pas admis avoir donné à Colley l’ordre d’assassiner Baba Jobe. Ousman Sonko a confirmé que c’est ce dernier qui l’avait informé de la mort de Baba Jobe.
L’accusé a déclaré que David Colley avait une relation particulière avec le Président. De ce fait, il s’adressait directement à lui, sans passer par le ministère de l’Intérieur. C’est d’ailleurs le témoin qui venait parfois voir l’accusé pour l’informer des ordres qu’il recevait de la maison d’État.
Selon l’accusé, la victime n’était pas un prisonnier politique mais un criminel condamné pour des délits financiers.
À suivre: la Cour examinera les faits liés à l’arrestation et à la torture de manifestants en avril 2016.
(8-12 janvier 2024, Tribunal pénal fédéral, Suisse)
Le procès d’Ousman Sonko s’est ouvert le 8 janvier 2024 devant le Tribunal pénal fédéral suisse (TPF). Un panel de trois juges examine la responsabilité de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien dans les nombreux crimes contre l’humanité qu’il est accusé d’avoir commis entre 2000 et 2016, sous le régime de l’ancien président Yahya Jammeh.
Pendant les trois semaines du procès, Ousman Sonko sera représenté par une équipe de défense de quatre personnes. Neuf parties plaignantes seront entendues pendant deux semaines. Elles sont représentées par leurs avocat·es et soutenues par TRIAL International, qui a déposé la dénonciation pénale contre Ousman Sonko en 2017.
(actes de torture, de séquestration et de violence sexuelle commis en tant que crimes contre l’humanité)
Dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en tant que complice d’un groupe d’auteurs, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des politicien·ne·s et des journalistes, de les avoir illégalement privées de liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul (Gambie).
Le troisième plaignant appelé à la barre dans le cadre des événements de 2006 est un ancien politicien gambien, membre de l’Assemblée nationale. En mars 2006, il a été arrêté dans le cadre de l’enquête relative à un coup d’État présumé contre le gouvernement gambien. Il vit actuellement en exil. |
Ousman Sonko a contesté toutes les accusations liées aux événements de 2006 en relation avec ce troisième plaignant.
Après avoir confirmé la déclaration qu’il a faite au cours de l’enquête – et selon ses propres termes – le plaignant a expliqué qu’il avait été enlevé en mars 2006 au Parlement. Emmené à plusieurs reprises dans les locaux de la NIA, il avait été interrogé sur son rôle présumé dans la tentative de coup d’État présumée et avait répondu qu’il n’en savait rien. Une déclaration écrite avait été préparée pour qu’il la signe et il a été poignardé alors qu’il refusait de le faire.
Il a été soumis à d’autres occasions à des actes de torture. En conséquence, il a été blessé sur différentes parties du corps. Il a expliqué qu’il avait été soumis à des crimes odieux et à des humiliations qu’il n’aurait jamais cru qu’un homme puisse faire à un autre. Il a finalement été acquitté.
Malgré son acquittement, il a souffert d’importantes conséquences physiques et psychologiques dues aux actes de torture qu’il a subis et reste depuis lors affecté dans sa vie quotidienne.
En ce qui concerne le contexte gambien, il a expliqué que la situation politique en 2006 était désastreuse.
À suivre : reprise des audiences le lundi 15 janvier 2024, 08:15 AM (CET).
(actes de torture, de séquestration et de violence sexuelle commis en tant que crimes contre l’humanité)
Dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en tant que complice d’un groupe d’auteurs, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des politicien·ne·s et des journalistes, de les avoir illégalement privées de liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul (Gambie).
Pour des raisons liées à la dignité de la plaignante, l’identité ne sera pas divulguée, de même que les détails de la déclaration du plaignant.
Ousman Sonko a contesté toutes les accusations, sur les événements de 2006, portées contre lui en relation avec cette deuxième plaignante.
Cette dernière a expliqué dans sa déclaration qu’elle a été arrêtée le 24 mars 2006 et détenue, puis conduite dans les locaux de la National Intelligence Agency (NIA). Elle s’est retrouvée dans une pièce où étaient assises de nombreuses personnes, dont Ousman Sonko et l’ancien vice-directeur de la NIA. Elle a été interrogée sur la tentative de coup d’État qui aurait eu lieu. Pendant sa présence à la NIA, elle a été soumise à une violence intense, violée, humiliée et torturée. À la suite de ces événements, elle a été mise en prison.
Elle a été détenue plusieurs semaines avant d’être ramenée – avec d’autres personnes – au NIA où elle a vu Ousman Sonko. Ce n’est qu’ensuite qu’elle a été libérée.
En octobre de la même année, elle est de nouveau arrêtée à son domicile et remise en prison, où elle reste à l’isolement avant d’être de nouveau conduite à la NIA. Elle y est interrogée sur l’implication d’autres personnes dans le coup d’État. Finalement, elle a été libérée.
La plaignante a souligné les conséquences physiques et mentales que ces actes ont pu avoir sur elle depuis lors.
Elle a rappelé à la Cour suisse que le système judiciaire gambien était complice du gouvernement et que les juges répondaient aux ordres du président.
À suivre : Les audiences se poursuivent sur les tortures infligées aux putschistes présumés en mars 2006.
(actes de torture, séquestration et violences sexuelles commis en tant que crimes contre l’humanité)
Dans le cadre d’une tentative de coup d’État en mars 2006, Ousman Sonko est accusé, en tant que complice d’un groupe d’auteurs, d’avoir torturé diverses personnes, dont des membres de l’armée, des politiciens et des journalistes, de les avoir illégalement privées de liberté, ainsi que d’avoir commis un viol à Banjul (Gambie).
Le premier plaignant appelé à la barre est un citoyen gambien qui a commencé sa carrière au sein de la police gambienne avant d’être intégré dans l’armée nationale. En mars 2006, son supérieur militaire – Ndure Cham – a été accusé par le gouvernement gambien d’avoir fomenté un coup d’Etat. Le plaignant a été arrêté dans le cadre de l’enquête liée à cette affaire.
Ousman Sonko a contesté toutes les accusations portées contre lui en relation avec ce plaignant.
Ce dernier a été appelé à faire sa déposition et a rappelé qu’il avait été arrêté le 21 mars 2006. Au cours de sa première nuit d’incarcération, il a été conduit de la prison Mile 2 aux locaux de la National Intelligence Agency (NIA). Là, des membres de l’armée, des prétendus Junglers, et de la NIA ainsi que, notamment, Ousman Sonko, de même que l’ancien chef adjoint de l’état-major de la défense et le chef de l’unité des crimes graves de la police étaient en train de mettre en place un groupe d’enquête.
Le plaignant a également expliqué que la nuit de son arrestation, il a été violemment interrogé sur sa participation présumée au coup d’État. Il a ensuite été emmené à plusieurs reprises à la NIA et soumis à des actes de torture. Il a également été menacé de mort, y compris avec des armes. À plusieurs reprises, il a été contraint de signer des déclarations contre son gré. Il souffre encore de graves séquelles physiques et mentales des actes de torture qu’il a subis.
Il a rappelé que les membres du panel – y compris Ousman Sonko – savaient très bien que des personnes étaient torturées dans le cadre de cette enquête. Les accusés ont même vu les blessures du plaignant.
Le plaignant n’a été présenté à un juge que plusieurs mois après son arrestation et a été condamné – avec d’autres personnes – à de très longues peines de prison. Il a passé neuf ans en prison dans des conditions difficiles.
En ce qui concerne le contexte gambien de l’époque, il explique que le pays était soumis à une dictature extrême. Des personnes étaient arrêtées et emprisonnées sans être traduites en justice. D’autres disparaissaient. Les gens vivaient dans une peur constante.
À suivre : Les audiences se poursuivent sur les tortures infligées aux putschistes présumés en mars 2006.
(meurtre d’Almamo Manneh et viols multiples en tant que crimes contre l’humanité)
Ousman Sonko est accusé, entre autres, d’avoir participé à l’assassinat d’Almamo Manneh, ancien membre de la State Guards, en janvier 2000 et d’avoir agressé sexuellement sa veuve entre les années 2000 et 2002 ainsi que de l’avoir torturée, violée et séquestrée en 2005.
L’accusé a expliqué qu’il était lié par un secret professionnel qui l’empêchait de parler des faits d’Almamo Manneh et a contesté toutes les accusations de viol, affirmant qu’il n’était pas dans le pays au moment des faits.
La Cour a ensuite procédé à l’audition de la veuve d’Almamo Manneh. Son avocat a demandé à ce qu’Ousman Sonko soit placé dans une pièce séparée, afin que la plaignante ne soit pas directement confrontée à lui lors de son interrogatoire. Compte tenu de la nature sensible des discussions, c’est la juge qui a mené l’interrogatoire.
Interrogée par la Cour, la plaignante a confirmé toutes les déclarations qu’elle a faites devant le procureur fédéral en 2019 (pendant la phase d’enquête). Elle a également déclaré qu’elle n’avait pas connaissance du prétendu coup d’État que son mari était soupçonné d’avoir fomenté contre l’ancien président. Au cours de la nuit du meurtre, son défunt mari a reçu un appel téléphonique et a quitté leur maison. Elle ne l’a jamais revu.
La plaignante a expliqué que le défendeur l’avait gravement maltraitée à plusieurs reprises entre janvier 2000 et avril 2002, ainsi qu’en 2005. Elle a également rappelé qu’à partir du milieu des années 1990, tout Gambien qui s’opposait au gouvernement vivait un véritable enfer. Après son témoignage devant la TRRC, elle a été contactée par des femmes qui avaient également été victimes d’agressions sexuelles. Un grand nombre d’entre elles avaient peur de dénoncer les agressions et lorsqu’elles le faisaient, elles n’étaient pas crues.
L’avocat de la défense a refusé de faire usage de son droit de poser des questions supplémentaires au plaignant en ce qui concerne les allégations de viol et de torture. De retour dans la salle d’audience, l’accusé a expliqué qu’il ne connaissait pas les raisons pour lesquelles Almamo Manneh aurait planifié un coup d’État, ni la réaction du président Jammeh à la mort de Manneh. Cependant, il a répété qu’il était lié par le secret professionnel et qu’il ne pouvait pas faire d’autres commentaires. Confronté au fait que la TRRC l’a jugé responsable du meurtre d’Almamo Manneh, il a répondu qu’il n’avait pas vu son nom dans les volumes A et B du compendium de la TRRC.
Ousman Sonko a ensuite été confronté à une série d’articles de journaux gambiens publiés après l’assassinat de Manneh, faisant notamment référence à un « communiqué officiel sur une tentative de coup d’État » émanant du ministère de l’intérieur. L’accusé a déclaré qu’il ne connaissait pas le contenu de ce soi-disant communiqué. Selon lui, ces articles sur le coup d’État étaient en fait la preuve que la presse gambienne était libre.
Il a expliqué qu’il s’était rendu en Sierra Leone pour une mission de l’ONU entre le 6 janvier 2001 et les 21 et 22 janvier 2002 et qu’il n’était revenu qu’une seule fois en Gambie au cours de cette période pour faire une pause. La Cour a informé les parties qu’une demande d’entraide judiciaire avait été adressée à l’ONU pour confirmer les pauses prises par l’accusé et qu’elle attendait une réponse.
Prochainement : Audiences sur les tortures infligées aux putschistes présumés en mars 2006.
À suivre : Audiences sur les tortures infligées aux putschistes présumés en mars 2006.
Comme le prévoit la loi, la Cour a rappelé à Ousman Sonko les charges retenues contre lui, sur la base de l’acte d’accusation. Il a ensuite été invité à répondre à des questions sur sa situation personnelle. Il a refusé de répondre en détail sur son état de santé. Cependant, interrogé par son avocat, il a expliqué qu’il crachait du sang en raison de la mauvaise qualité de l’air dans la prison suisse. L’accusé a ensuite affirmé que ses sept années de détention préventive avaient été la pire période de sa vie.
Concernant sa situation financière, Ousman Sonko a déclaré qu’il n’avait plus d’économies et que sa famille était en difficulté financière. Il était toujours propriétaire de la maison qu’il occupait en Gambie, mais n’avait pas d’autres comptes bancaires que ceux énumérés dans le dossier.
Ses projets d’avenir étaient de retourner en Gambie et d’y étudier le droit.
Ousman Sonko a ensuite été autorisé à faire une déclaration. Il a réaffirmé qu’il n’était pas coupable des crimes dont il était accusé. Tout au long de sa carrière, il aurait toujours été loyal envers son pays et l’aurait servi du mieux qu’il le pouvait. Il aurait été heureux de s’adresser à la TRRC s’il en avait eu l’occasion et aurait rappelé au peuple gambien la complexité du contexte gambien.
Selon lui, durant son mandat de ministre de l’Intérieur, il a essayé d’améliorer les conditions de détention autant qu’il le pouvait, notamment en triplant le budget alimentaire des prisonniers. Il s’est également efforcé d’améliorer le comportement des forces de sécurité en ce qui concerne l’usage de la force. En tant qu’inspecteur général de la police (IGP), il s’est efforcé de professionnaliser la police. Il a déclaré qu’il était fier de ses réalisations.
Ousman Sonko a ensuite formulé des critiques à l’encontre du gouvernement suisse, arguant que pendant les années d’enquête, les autorités l’ont empêché d’obtenir la protection diplomatique de son pays et que ce dernier n’était pas en mesure de donner des leçons sur les droits humains à qui que ce soit.
L’accusé a ensuite été interrogé sur le contexte général des attaques contre la population gambienne.
Ousman Sonko a contesté l’ensemble des accusations portées contre lui en ce qui concerne ce contexte. Entre autres déclarations, l’accusé a affirmé qu’il n’était pas au courant – et n’avait jamais entendu – les discours de Yahya Jammeh dans lesquels il menaçait publiquement la population – respectivement les défenseur·euse·s des droits humains ou les opposants·e·s politiques – en 2000, 2006, 2009 et 2016.
Pendant son mandat de ministre de l’Intérieur, il est possible que des personnes aient été torturées, mais en ce qui concerne son ministère, il n’avait pas connaissance de tels crimes. L’Agence nationale de renseignement (NIA) n’a jamais été sous son contrôle ou son autorité, et il n’a jamais travaillé pour l’Agence. Les Junglers appartenaient aux bataillons de la Garde d’État, qui faisait partie de la Garde nationale républicaine, sous la tutelle du ministère de la défense, dirigé par Yahya Jammeh. L’accusé a affirmé qu’il n’avait pas connaissance des mauvais traitements infligés dans les quartiers de sécurité des prisons gambiennes.
En réponse aux questions de son avocat, Ousman Sonko a déclaré qu’il n’avait jamais participé à une réunion avec le président Jammeh pour élaborer une stratégie d’attaque contre la population civile, ni à aucune réunion du cabinet où la question de la torture à la NIA avait été abordée. En fait, il a affirmé que les questions relatives aux services de sécurité n’avaient jamais été abordées lors de ces réunions. Ni en tant qu’IGP ni en tant que MoI, il n’a jamais été informé des actions des Junglers et la NIA ne l’a jamais informé d’actes de torture.
Prochainement, la Cour examinera les faits liés au meurtre d’Almamo Manneh en 2000..
Les travaux ont repris à 13 heures précises avec la lecture par la Cour de sa décision sur les questions préjudicielles examinées au cours de la première journée.
La Cour a annoncé que l’arrêt ne serait pas traduit en anglais.
En ce qui concerne les arguments avancés par la défense contre l’acte d’accusation, il a été décidé que la modification apportée après le dépôt de l’acte d’accusation devant la Cour a été effectuée dans le respect de la loi et est donc valide. Par conséquent, le procès sera basé sur l’acte d’accusation étendu et modifié.
Plus important encore, la Cour a statué que les critères juridiques conduisant à sa compétence sont, a priori, remplis, mais que cette question ne peut être pleinement résolue qu’avec l’examen du fond de la cause : des crimes contre l’humanité ont-ils été commis en Gambie au cours de la période considérée ? Une fois que le contexte général des crimes contre l’humanité est établi par l’examen de toutes les preuves et de tous les éléments de preuve, la Cour examinera les arguments des parties et la jurisprudence pour décider de sa compétence, ainsi que du délai de prescription.
La Cour a ensuite examiné les nombreuses allégations de la défense concernant la prétendue violation des règles de procédure au cours de l’enquête menée par le procureur fédéral. Il a été jugé que les preuves recueillies l’avaient été dans le respect de la loi et qu’elles étaient bien documentées. Par conséquent, le dossier reste en l’état.
En ce qui concerne la traduction de la procédure, la Cour rappelle que l’allemand est la langue de procédure depuis le début et que la loi ne prévoit pas que la procédure se déroule en anglais, cette langue n’étant pas une langue nationale officielle. Elle s’en tiendra donc à sa décision précédente et ne fournira pas d’interprétation pour les parties du procès qu’elle ne juge pas essentielles à la compréhension des parties.
Par conséquent, le procès aura lieu et la Cour examinera la responsabilité pénale d’Ousman Sonko pour toutes les charges retenues contre lui, y compris les faits qui se sont déroulés à partir de 2000 (meurtre d’Almamo Manneh) et les violences sexuelles répétées commises sur sa veuve, ainsi que les actes de torture commis en 2006 sur des personnes soupçonnées d’avoir participé à un coup d’État en mars 2006. La Cour examinera également la responsabilité pénale d’Ousman Sonko pour les conditions de détention imposées aux plaignants arrêtés en avril 2016 en tant que traitement inhumain dans le cadre de crimes contre l’humanité.
À suivre : audition des parties.
Le procès d’Ousman Sonko a commencé aujourd’hui, 8 janvier 2024, à 9h00 devant le Tribunal pénal fédéral suisse, où trois juges examineront la responsabilité de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien dans les nombreux crimes contre l’humanité qu’il est accusé d’avoir commis entre 2000 et 2016.
Ousman Sonko est présent dans la salle d’audience, secondé par son avocat et l’équipe de défense. Cinq plaignant·e·s sont également présent·e·s, tandis que d’autres se joindront à elle·eux à un stade ultérieur de la procédure. Ils·elles seront entendu·e·s au cours des deux prochaines semaines.
Dans le cadre des questions procédurales et organisationnelles posées à l’ouverture du procès, les avocats des plaignant·e·s ont notamment demandé que les chocs électriques imposés aux parties génitales d’une victime en mars 2006 soient considérés non seulement comme de la torture, mais aussi comme des actes indépendants de violence sexuelle commis dans le cadre de crimes contre l’humanité. La Cour a également été invitée à examiner les charges retenues contre Ousman Sonko comme étant aggravées (art. 264a par. 2 du code pénal), notamment en raison du nombre élevé de personnes affectées et de la nature cruelle des actes. L’attention de la Cour a ensuite été attirée sur le fait que, si la disposition réprimant les crimes contre l’humanité (art. 264a du code pénal – en vigueur depuis le 1er janvier 2011) n’était pas applicable rétroactivement aux faits antérieurs à 2011, la Convention internationale contre la torture trouverait en tout état de cause à s’appliquer compte tenu de sa ratification dans les années 1990 par la Suisse.
La défense a d’abord critiqué l’extension de l’acte d’accusation – où les conditions de détention des plaignant·e·s en 2016 ont été ajoutées aux charges contre Ousman Sonko – et a demandé que de tels amendements ne soient pas pris en compte par le Tribunal, en raison des violations procédurales de la loi qui auraient eu lieu au cours du processus d’amendement.
Il a ensuite été contesté que la Cour suisse soit compétente pour poursuivre Ousman Sonko pour les faits qui se sont déroulés avant le 1er janvier 2011 et il a été affirmé que les dispositions entrées en vigueur à cette date pour réprimer les crimes contre l’humanité ne devraient pas être appliquées rétroactivement. La défense a donc demandé que les faits antérieurs à 2011 ne soient pas retenus. Elle a ajouté que la plupart de ces charges étaient prescrites et devaient être abandonnées.
Dans une quatrième critique, la défense a plaidé pour que les éléments de preuve soient retirés du dossier. En particulier, selon la défense, de nombreuses auditions de témoins ainsi que des documents déposés ont été recueillis en violation des exigences procédurales.
La défense a également demandé l’interprétation intégrale du procès en anglais dans l’intérêt d’Ousman Sonko.
À suivre: Le procureur fédéral et les avocats des plaignants prendront la parole et répondront aux arguments de la défense.
Après les plaidoiries de la défense sur les questions préliminaires, le procureur fédéral a pris la parole et a réagi aux critiques concernant la modification de l’acte d’accusation. Il a déclaré que le code de procédure permet en effet de telles modifications et qu’il n’y a donc pas lieu d’attaquer l’acte d’accusation. Le procureur a ensuite rappelé que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et que, par conséquent, aucune des accusations portées contre Ousman Sonko ne devrait être considérée comme prescrite.
Le procureur fédéral a également soutenu que la Cour était compétente pour connaître des crimes présumés d’Ousman Sonko et qu’il n’y avait pas eu de violation du droit procédural au cours de l’enquête.
Les avocat·e·s des plaignant·e·s se sont succédé·e·s à la barre. Ils·elles ont souligné que la défense avait déployé de nombreux efforts pour mettre en évidence les erreurs de procédure commises par le procureur fédéral au cours de la phase d’enquête, dans le seul but de faire disparaître du dossier des preuves utiles.
En ce qui concerne la compétence de la Cour pour poursuivre et la prescription, il a été soutenu que la compétence de la Suisse pour les infractions en question découle non seulement de la nouvelle loi adoptée en janvier 2011 – prétendument applicable aux faits commis avant cette date – mais aussi de la ratification de la Convention contre la torture. Il a notamment fait référence au précédent suisse qui a confirmé sans équivoque la compétence de la Cour pour les crimes contre l’humanité commis dans les années 1990 au Libéria (Alieu Kosiah – Décision de la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral CA.2022.8 du 30 mai 2023) et a insisté sur le fait que les infractions n’étaient pas prescrites en application de la jurisprudence récente (affaire BB.2021.141 du 23 septembre 2021).
Enfin, l’amendement légitime de l’acte d’accusation par le Procureur a été soutenu par les avocats des victimes de torture en 2016, qui ont été emprisonnées dans les pires conditions de détention, au point qu’elles devraient être considérées comme un traitement inhumain. Ils ont fait valoir que le seul espoir d’Ousman Sonko de contester la légalité de la modification de l’acte d’accusation est de se soustraire à sa responsabilité pénale, en tant que Ministre de l’Intérieur, pour avoir imposé ou accepté des conditions de détention aussi dures.
La Cour a ajourné l’audience pour délibérer sur ces questions.
La décision de la Cour est très attendue, car elle déterminera les contours du procès d’Ousman Sonko et son éventuelle responsabilité pénale. Elle devrait également constituer un précédent juridique important en ce qui concerne la poursuite – en Suisse – de crimes internationaux commis avant le 1er janvier 2011.
À suivre: Lecture de la décision de la Cour à 13h (CET) le 9 janvier 2024.
L’ancien ministre gambien Ousman Sonko a été inculpé de crimes contre l’humanité
Le procès qui s’ouvrira en Suisse le 8 janvier 2024, pour des crimes graves commis en Gambie, représente une avancée significative pour délivrer la justice aux victimes de graves abus, ont déclaré aujourd’hui des ONG gambiennes et internationales participant à la campagne Jammeh2Justice.
Le procès de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, Ousman Sonko, se tiendra devant le Tribunal pénal fédéral suisse du 8 au 30 janvier 2024. Ousman Sonko est jugé pour crimes contre l’humanité, commis sous le régime de l’ancien président gambien Yahya Jammeh. TRIAL International avait déposé une plainte pénale contre Ousman Sonko en janvier 2017.
Le procès d’Ousman Sonko, ancien ministre de l’intérieur gambien, s’ouvrira le 8 janvier 2024 devant le Tribunal pénal fédéral suisse (TPF).
Ousman Sonko est accusé de plusieurs chefs de crimes contre l’humanité, qui auraient été commis entre 2000 et 2016, sous le régime de l’ancien dictateur gambien Yahya Jammeh.
Le procès d’Ousman Sonko – l’ancien ministre de l’Intérieur gambien accusé d’avoir commis de multiples crimes contre l’humanité – s’ouvrira le 8 janvier 2024 devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone.
Il s’agira du second procès portant sur des crimes contre l’humanité dans l’histoire judiciaire de la Suisse. Ousman Sonko sera d’ailleurs le plus haut responsable étatique jamais jugé pour des crimes internationaux sur la base de la compétence universelle en Europe.
Avec les dates d’ouverture du procès, l’espoir des victimes de voir enfin leur bourreau rendre des comptes devant la justice se concrétise. « Parmi les victimes, certaines d’entre elles ont mené cette lutte durant plus de vingt ans, la justice suisse se doit d’être à la hauteur de leur attentes », souligne Vony Rambolamanana, Conseillère juridique principale de TRIAL International.
Le Ministère public de la Confédération (MPC) a transmis le 17 avril 2023 au Tribunal pénal fédéral (TPF) son acte d’accusation contre Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur gambien. Il l’accuse d’avoir participé à des crimes contre l’humanité commis sous la dictature de Yahya Jammeh. Le procès à venir marque une étape décisive dans le processus de justice transitionnelle en Gambie où des démarches sont aussi en cours afin de traduire en justice les responsables de l’ère Jammeh. Le dossier est également emblématique pour la Suisse, car il s’agira du second procès à se tenir devant le TPF sur la base du principe de la compétence universelle. Il l’est d’autant plus car jamais en Europe un aussi haut responsable n’a encore été jugé en application de ce principe.
Poursuivi pour crimes contre l’humanité et incarcéré en Suisse depuis cinq ans, Ousman Sonko fait face à de nouvelles accusations formulées par la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (Truth, Reconcilation and Reparations Commission – TRRC) en Gambie soulignant son implication dans la répression féroce qui a caractérisé le régime de l’ancien dictateur Yahya Jammeh.
La Commission Vérité, Réconciliation et Réparations de la Gambie (TRRC en anglais) a été créée en 2018 dans le but de faire la lumière sur les abus commis par le régime de Jammeh. Au total, 393 personnes, dont des victimes, d’anciens responsables gouvernementaux et des membres de diverses forces de sécurité, ont témoigné au cours des 871 jours d’audiences publiques. Le rapport final de la TRRC a été publié le 24 décembre 2021. Il conclut que Jammeh et 69 de ses collaborateur·ices, dont Ousman Sonko, ont commis des crimes contre l’humanité et demande qu’iels soient poursuivi·es.
Le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Berne a confirmé le maintien en détention d’Ousman Sonko. L’ex-ministre de l’Intérieur et bras droit du dictateur gambien Yahya Jammeh est soupçonné de crimes contre l’humanité.
Ousman Sonko a été arrêté en Suisse le 26 janvier 2017, suite à une dénonciation pénale de TRIAL International pour des faits de torture. Au vu des forts soupçons pesant contre lui, il a été placé pendant trois mois en détention provisoire.
Au terme de ces trois mois, le Ministère public de la Confédération a obtenu que la détention soit prolongée de 3 mois. « Nous saluons cette décision qui prouve que les autorités prennent au sérieux les soupçons contre M. Sonko », dit Philip Grant, Directeur de TRIAL International. « Nous espérons que l’enquête pourra faire la lumière sur certaines exactions du régime Jammeh. »
Le dictateur Yahya Jammeh aura régné 20 ans sur la Gambie, durant lesquelles torture et exécutions extrajudiciaires étaient monnaie courante. Les autorités de poursuite suisses doivent maintenant déterminer si l’un de ses plus proches anciens collaborateurs, l’ancien ministre de l’Intérieur Ousman Sonko, a participé à ces crimes.
Depuis le début des années 2000, la communauté internationale n’a eu de cesse de dénoncer la brutalité du régime gambien. Nations Unies, ONG et cours régionales ont toutes fait état des nombreuses exactions des forces de l’ordre.
L’un des hommes forts de ce régime, Ousman Sonko, se trouve actuellement en Suisse. Cet ancien ministre de l’Intérieur (2006 – 2016) dirigeait les forces de police et les lieux de détentions. Est-il possible que les violations répétées des droits humains aient échappé à son attention ?